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qui lui barrent le passage. Leur chef s’avance, déclare qu’il est chez lui, et qu’il fera un mauvais parti à quiconque viendra le troubler dans l’exercice de son droit ; il invite son interlocuteur à descendre de cheval, et en même temps envoie plusieurs hommes pour l’entourer. M. d’A… fait faire alors un brusque écart à sa monture, se lance au galop et, grâce à sa parfaite connaissance du pays, échappe à ses adversaires, non sans avoir essuyé plusieurs coups de feu. Il réclame à Athènes, mais inutilement, et, comme les choses traînaient en longueur, il se décide à se défendre lui-même ; il recrute une centaine d’hommes, les arme et prend position sur le scorial de Sinterini, voisin de celui de Camaresa. Il se disposait à l’attaque, quand arrivent d’Athènes des troupes commandées par un colonel et accompagnées d’un juge d’instruction. Les envahisseurs cèdent le terrain de bonne grâce à la milice nationale, et s’établissent tranquillement à quelques pas plus loin. L’officier avait sans doute mal compris sa consigne, car non-seulement il refusa de rendre Camaresa aux légitimes propriétaires, mais encore il exigea d’eux qu’ils abandonnassent le scorial de Sinterini pour l’occuper avec ses troupes. Il prétendait avoir reçu des ordres formels, et, sur le refus qui lui fut opposé, il voulait engager le combat. On était heureusement dans le pays des héros d’Homère, où l’on parlemente longtemps avant d’en venir aux mains ; on discuta, et il fut décidé qu’un armistice serait signé jusqu’à ce qu’on en eût référé à Athènes. L’erreur était par trop criante ; le ministre de France, M. de Gobineau, menaça d’envoyer la frégate française dans les eaux d’Ergastiria, et le gouvernement finit par rappeler ses soldats. Après leur départ, les assaillans n’eurent garde de rester ; ils décampèrent, et il est superflu d’ajouter qu’ils ne furent pas inquiétés.

Malgré ces incidens, la société continuait courageusement son entreprise ; toutefois la lutte qu’elle soutenait entra dans une phase nouvelle et bien plus dangereuse lorsque le gouvernement lui-même vint ouvertement y prendre part. Le 14 avril 1867, la chambre des députés vota une loi qui établissait un impôt de 10 pour 100 sur le produit net des scories appartenant aux particuliers et de 30 pour 100 sur le bénéfice obtenu par la fusion des scories domaniales. La loi avait un effet rétroactif, et l’impôt portait non-seulement sur la fabrication à venir, mais encore Sur les produits déjà obtenus les années précédentes. Le fisc devait prendre hypothèque sur les bâtimens, machines et ateliers de la société franco-italienne pour garantir le paiement des droits arriérés. En même temps, on poussait activement le procès pendant entre la commune de Kératea et l’état, et celui-ci fut bientôt déclaré propriétaire des terrains sur lesquels