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opprimèrent et les accablèrent de charges et de corvées. Sans parler des peintures de plusieurs tombeaux égyptiens où l’on voit des Sémites fabriquant des briques et élevant des murailles sous l’œil de surveillans égyptiens armés de longs fouets, une inscription hiéroglyphique du règne de Ramsès mentionne les Aberiou, ou Hébreux, parmi les populations employées aux travaux publics. Nulle créature humaine n’était moins faite qu’un fils d’Israël pour ce genre de travail. Les Hébreux sortirent d’Égypte et abandonnèrent le pays de Goschen vers 1320. Selon M. Kuenen, d’accord avec MM. Lepsius, Brugsch, Bunsen et Chabas, l’émigration aurait eu lieu sous le règne de Mérenphtah (Aménophthis), successeur de Ramsès II. Le chef de l’émigration portait un nom égyptien, et, d’après tous les historiens, il avait été instruit dans la science des Égyptiens. Manéthon, qui d’accord avec la Bible désigne Moïse comme le chef politique et religieux des Beni-Israël, fait du futur législateur des Hébreux un prêtre d’Héliopolis. L’on n’en sait et l’on n’en saura sans doute jamais plus sur Moïse. Cinq ou six siècles au moins séparent l’époque de Moïse de celle où furent rédigés les plus anciens documens qui nous parlent de lui. Cette grande et vivante image que l’on admire dans l’Exode et dans les Nombres n’a aucun trait historique. On ne peut démontrer qu’une seule loi du Décalogue remonte à Moïse ; on peut prouver au contraire que cette origine ne saurait être admise pour le plus grand nombre de ces lois, surtout avec les additions qui accompagnent les dix commandemens dans les deux rédactions quelque peu divergentes de l’Exode et du Deutéronome.

Quand les Beni-Israël remontèrent dans le pays de Chanaan, ils étaient idolâtres et polythéistes comme lorsqu’ils en étaient descendus. Leur principale divinité était non plus El, mais Jahveh, que le peuple adorait sous la forme d’un taureau de métal fondu. Point de phénomène plus commun dans l’histoire des religions que cette apparition de dieux nouveaux qui détrônent les dieux antiques. Ainsi, chez les Hindous et chez les Hellènes, Varounas pâlit peu à peu devant Indra, Ouranos devant Zeus. D’ailleurs, si les vieilles divinités ne gouvernent plus, elles règnent toujours. Le dieu El, dont on lit partout le nom dans la Bible, surtout dans les livres poétiques, ne disparaît pas plus devant Jahveh que devant les autres dieux ou Elohim du panthéon sémitique ; mais il n’est plus le dieu national, la divinité tutélaire des tribus israélites confédérées. Jahveh est désormais le dieu d’Israël, comme Kamos était le dieu des Moabites, comme Milcom ou Molech était celui des Hammonites, comme Orotal (lumière ou feu de El) était celui des Édomites et des Ismaélites.