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« Tout-Puissant » des Hébreux. C’est là encore, comme le remarque M. François Lenormant, une de ces appellations de la mythologie syro-phénicienne dont on a constaté l’origine dans les religions de la Chaldée et de l’Assyrie[1].

Jahveh n’est pas un dieu égyptien, et ce qui le prouve sans réplique, c’est que le nom de cette divinité est chaldéen. Le mystérieux tétragramme, le mot ineffable dont les lettres portent dans la Bible la vocalisation du mot Adonaï, présente d’une manière évidente la racine havah, forme chaldéenne, variété dialectique d’un verbe hébreu qui signifie « respirer, vivre, être. » Le nom de cette divinité, qu’on prononce généralement Jahveh, doit sûrement s’être prononcé Yahavâh à l’origine. Cette forme s’est ensuite contractée en Jâhou et Jâh. Quant à la signification de ce nom, il y a longtemps que les philologues ont vu dans Jahveh le dieu de l’existence, celui qui a et qui donne la vie.

Le nom araméen du dieu Jahveh prouve à la fois et sa haute antiquité et son origine chaldéo-assyrienne. Chacun sait en effet que les cultes du feu et de la lumière viennent de la Haute-Asie. Quand les Térachites abandonnèrent la Chaldée et passèrent l’Euphrate, ils adoraient entre autres le dieu Jahveh, ils l’adoraient lors de leur premier séjour au pays de Chanaan, ils l’adoraient en Égypte, et c’était sans doute l’arche de ce dieu qu’ils portaient dans le désert. Si, à l’origine, il ne paraît pas avoir été aussi populaire que les autres divinités d’Israël, s’il lui fallut des siècles pour devenir la divinité nationale de ce peuple, et des siècles encore pour arriver à être considéré comme le dieu unique de l’univers, il n’y a là rien encore qui doive nous surprendre. Selon toute apparence, le culte de Jahveh appartenait surtout à l’aristocratie des tribus térachites. Max Müller ne nous enseigne-t-il pas que les religions ont appartenu d’abord à des familles et à des sociétés d’hommes extrêmement restreintes ?

Il s’en faut bien d’ailleurs que Jahveh appartînt en propre aux Beni-Israël. S’il faut en croire la Bible elle-même, Balak ben Tsippor, roi des Moabites, menacé d’une invasion des Beni-Israël, aurait envoyé les anciens de Moab et de Madian sur les bords de l’Euphrate, vers un « voyant » fameux, Bileâm ben Behor, pour qu’il vînt maudire les envahisseurs. Or ce « voyant » de Mésopotamie, le devin Bileâm, maudit et bénit au nom de Jahveh. Notons en

  1. Le nom Asit ou Asid qu’on lit dans le plus ancien monument épigraphique de l’Assyrie (XIXe siècle avant l’ère chrétienne), donné quelquefois à Assur, avec un a prosthétique qui ne peut empêcher de reconnaître la racine, est le même que l’hébreu Schaddaï. Or Assur n’est autre que la forme nationale assyrienne du dieu suprême