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monde. Si l’on considère en outre le fanatisme sanglant du génie révolutionnaire, il est permis de dire que c’est aussi un événement satanique. Satanique et providentiel, tel est bien le double aspect de la révolution : telle elle se présente encore à nos yeux aujourd’hui, Enfin il est vrai qu’elle est une expiation, expiation de deux siècles de despotisme et de licence. Si ces deux écrivains ont bien caractérisé la révolution française dans son présent et dans son passé, on peut dire que leur sagacité a été en défaut quand ils ont essayé de prophétiser l’avenir. D’une part, en fait de renouvellement religieux, rien ne s’est produit de semblable à ce qu’avait rêvé Saint-Martin, ou du moins tout ce qui a été essayé en ce genre a misérablement échoué. D’autre part, la restauration religieuse de l’ancien ordre social et la contre-révolution prédite par Joseph de Maistre paraissent plus éloignées que jamais. La lutte entre l’église et la révolution s’accentue de jour en jour. L’église est de plus en plus refoulée dans l’ordre spirituel, et l’ordre temporel s’inspire au contraire de plus en plus de l’esprit philosophique. Enfin, sans pouvoir déterminer encore avec précision le but et les résultats suprêmes de la révolution, il semble bien que ce but consiste plutôt dans une purification ou extension des principes de 89 que dans une rétractation de ces principes.

Peut-être cependant nos deux prophètes ne paraissent-ils s’être trompés que parce que leur vue s’étend au-delà de ce que nos regards peuvent embrasser aujourd’hui ; peut-être ce qu’ils ont prédit se réalisera-t-il, quoique sous une forme différente de celle qu’ils ont cru entrevoir. Qui sait si l’église, lorsque la lutte encore toute brûlante sera terminée ou apaisée, ne trouvera pas dans la liberté moderne une puissance d’action qu’elle ne soupçonne point, et qui lui servirait à restaurer un empire plus solide que celui qu’elle aura perdu ? Qui sait si, en dehors de l’église, tous ces élémens confus et divergens de rénovation religieuse, qui témoignent au moins d’un besoin réel et profond, ne trouveront pas à s’organiser autour d’un centre commun, et si la vieille forme chrétienne, plus ou moins transformée, ne sera pas encore ce foyer commun ? En critiquant les prophètes, évitons de prophétiser à notre tour ; ce que l’on peut dire néanmoins à l’heure qu’il est, c’est que le monde européen, s’il ne veut pas périr comme l’empire romain, doit trouver un symbole religieux qui puisse arracher les âmes au double mal qui se les dispute aujourd’hui : un criminel athéisme et une théocratie rétrograde.

L’idée théologique est l’idée dominante du livre de Joseph de Maistre ; elle n’est pas la seule. Comme Burke, il soutient les principes de l’école historique ; comme lui, mais avec une précision