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ténuité même, qu’ils eussent pu tout aussi bien convenir à l’enchâssement d’un bijou, ou du moins à la parure d’un monument fait pour consacrer des souvenirs de jeunesse et de grâce, pour honorer la mémoire d’un Vauvenargues ou d’un André Chénier ?

Il n’y aurait pas lieu sans doute d’insister, dans l’examen des œuvres de Duban, sur ces excès de recherche, s’il s’agissait en ceci de lui seul et des erreurs où il a pu personnellement tomber à un certain moment. Si large qu’on veuille la faire, la part de ces erreurs restera bien moindre que celle des mérites qui appartiennent au maître, et d’ailleurs la prédilection pour les détails à laquelle Duban s’abandonna vers la fin de sa vie pourrait avoir son explication ou son excuse dans un affaiblissement de la vue qui ne permettait plus à ses yeux d’embrasser plusieurs objets à la fois, peut-être aussi dans les habitudes contractées depuis le jour où les travaux de restauration du château de Blois l’avaient forcé à coudre successivement des fragmens les uns aux autres, à ne procéder que par opérations isolées. Ses exemples toutefois ont eu de ce côté une influence fâcheuse sur l’école française, qu’ils ont sous tant d’autres rapports utilement conseillée. Plusieurs architectes, même parmi les plus habiles, s’en sont autorisés pour rechercher à leur tour la finesse au détriment du reste, et pour confondre si bien les conditions de leur art avec les procédés du ciseleur qu’ils ont paru oublier jusqu’à la nature et aux qualités essentielles des matériaux employés. Par un abus contraire à la méthode suivant laquelle les artistes du XVIIIe siècle tourmentaient et contournaient la pierre au point de lui donner presque l’apparence d’un corps souple, ils en exagèrent l’inflexibilité en quelque sorte, ils en aiguisent les arêtes, ils en amaigrissent le relief, comme s’ils opéraient avec du bronze. De là quelque chose d’affecté, de tendu, de faux en réalité sous prétexte de correction ; de là surtout l’amoindrissement de l’effet d’ensemble qu’il s’agissait de produire, et, — ce qui serait plus malheureux encore, — le danger de nous donner par le contraste le goût des formes surchargées et du luxe emphatique dont le spectacle nous est offert ailleurs.

Pour apprendre au surplus comment il est possible de garder la mesure entre les deux abus, il suffirait d’interroger les travaux de Duban antérieurs aux dernières années de sa vie, et particulièrement, dans la phase qui précède 1848, ceux qu’il fit pour le duc de Luynes, au château de Dampierre. C’est à la même époque qu’il construisit à Paris l’hôtel de Pourtalès, — l’habitation privée la plus remarquable, la plus vraiment élégante qu’ait produite l’art contemporain dans notre pays, — qu’il orna l’intérieur d’un autre hôtel, celui de M. de Vendeuvre, supprimé depuis par le percement du boulevard derrière le nouvel Opéra, — qu’enfin il entreprit la restauration de la Sainte-Chapelle avec cette science pénétrante, avec