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combinaisons abstraites. Seulement, pour que ce perfectionnement pratique de constitution soit possible, il faut évidemment qu’il y ait déjà des institutions préexistantes, les plus simples de toutes, si l’on veut, quelques institutions qui puissent se modifier et se développer avec le temps, car s’il n’y en a pas du tout, comment voulez-vous qu’elles se perfectionnent ? Ceux qui raillent nos dix ou douze constitutions comme des œuvres vaines ont raison, s’il s’agit des théories propres à chacune d’elles ; mais ils ne remarquent pas que, de toutes ces constitutions, il s’est dégagé par la pratique un certain nombre de principes durables et communs à toutes : par exemple, le droit de voter l’impôt, le principe représentatif, plus ou moins limité, plus ou moins libre, la séparation des pouvoirs, le droit d’une représentation municipale et départementale, etc. Sans doute l’application de ces principes a pu être à certaines époques plus ou moins fictive ; il en a été souvent de même en Angleterre, et cependant nous vantons et envions les traditions anglaises. Il faut donc reconnaître que, malgré tant de révolutions, il s’est produit en France depuis 89 quelques germes de traditions politiques ; mais en 89, même ces germes, tels quels, n’existaient pas, et il s’agissait de les faire naître ou de les faire renaître, chose impossible sans une révolution.

Tel était l’ordre d’idées de l’école constitutionnelle : elle répudiait la révolution violente, elle t’abandonnait presque à l’origine, les uns aux journées d’octobre, les autres même au 14 juillet ; mais toute l’école était d’accord pour soutenir que l’ancien régime avait mérité sa chute, et qu’à aucun prix il ne devait être rétabli. Ces principes étaient ceux de toute l’école libérale sous la restauration ; une partie de cette école les poussait beaucoup plus loin. C’était le moment où deux jeunes écrivains, depuis illustres, liés d’amitié, d’opinions, d’études communes, entreprenaient de nous donner ; l’un la vaste épopée, l’autre le précis sévère de notre révolution nationale[1], MM. Thiers et Mignet, appartenant tous deux au parti libéral, tous deux alors dans l’ardeur de la jeunesse, et ayant imprimé à leurs histoires, encore aujourd’hui si vivantes, et l’esprit de leur âge et l’esprit de leur temps.

Ces deux écrivains, à la vérité, mêlent rarement à leurs récits des jugemens abstraits et des vues théoriques, et ne paraissent pas aspirer, comme ceux qui les ont suivis, à la haute philosophie. Ils n’ont pas mis deux ou trois dogmes en tête de leurs ouvrages, ils n’ont pas mis en scène l’autorité, l’égalité, la liberté, la fraternité, toutes ces hypostases abstraites qui font ressembler certaines

  1. Le précis de M. Mignet a paru en 1824 ; les deux premiers volumes de M. Thiers sur la constituante et la législative sont de la même année.