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l’apprentissage dans les ateliers de la petite industrie, qu’elle exige pour ces jeunes ouvriers la présence à l’école pendant plusieurs heures par jour, qu’elle introduise dans notre pays le système du halftime, si prôné en Angleterre : elle rendra ainsi de grands services à la cause de l’humanité et indirectement à l’industrie.

En examinant les réformes qui pourraient sauvegarder les intérêts de l’ouvrière, il en est une que nous ne voulons point oublier. On se plaint beaucoup de l’immoralité, qui fait de si grands ravages dans nos populations laborieuses. On a vu que ces récriminations sont exagérées ; mais il ne suffit point que le mal n’augmente pas, il faut encore que l’état des mœurs s’améliore. La société ne peut guère user de contrainte en pareille matière ; il y a toutefois dans notre code pénal et dans notre code civil deux lacunes qui nous paraissent monstrueuses : la loi française ne range pas la séduction parmi les crimes ni parmi les délits, elle ne permet pas non plus, elle défend la recherche de la paternité. C’est une honte pour une civilisation qui prétend avoir le respect du droit d’affranchir ainsi l’homme de la responsabilité de ses fautes. Quels que soient les inconvéniens nombreux et inévitables d’un régime qui range la séduction parmi les crimes, et qui autorise l’enfant naturel à rechercher son père, ce sont là de mesquines considérations, qui ne sauraient prévaloir contre les intérêts de la justice et de la dignité sociale. Un peuple s’honore qui sait inscrire dans ses lois le respect des sentimens honnêtes, qui ne craint pas de donner une sanction positive à la réprobation publique que doivent exciter les crimes contre les mœurs. Sachons nous élever au-dessus de préjugés qui ont leurs racines dans une nonchalance vicieuse et des traditions libertines.

Si dans une certaine mesure la loi peut sauvegarder les intérêts et élever la condition de l’ouvrière, il ne faut pas se dissimuler que les progrès les plus notables devront venir de l’initiative privée, du bon vouloir des industriels et plus encore peut-être des découvertes de la science. On peut signaler des améliorations dont l’Europe ou l’Amérique ont fait l’épreuve et que l’on doit proposer comme modèles. Il y a trente-cinq ans, M. Michel Chevalier attirait l’attention de l’Europe industrielle sur la ville de Lowell aux États-Unis. Cité de 40,000 âmes, comptant une population ouvrière de 15,000 personnes, dont 10,000 femmes, Lowell offrait un des types les plus parfaits d’organisation manufacturière. L’immense majorité des ouvrières étaient des jeunes filles des campagnes voisines qui venaient consacrer quatre, cinq, six ou dix ans au plus au travail des filatures pour s’amasser une dot. Elles vivaient, groupées par dix ou quinze, dans de petites maisons tenues par des femmes respectables : elles y apprenaient, à tour de rôle, les soins du ménage ; elles étaient en liberté sous un patronage bienveillant, et elles n’en