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spécimens, mais en moins grand nombre, de cette organisation industrielle. Ce qui les distingue, c’est qu’ils se rapprochent plus des logemens de Lowell, et présentent moins le caractère claustral. La filature de lin de MM. Schœller et Mœvissen, à Duren (Prusse rhénane), en est un exemple. On y voit deux internats, l’un pour les garçons, l’autre pour les filles : celui-ci comprenait en 1867 315 jeunes filles ; pour faciliter la discipline des dortoirs sans s’écarter trop de la vie de la famille, les chefs d’établissement ont organisé un système de petites salles placées au premier et au second étage de diverses habitations, dont le rez-de-chaussée a été donné en logement à la famille d’un contre-maître qui a la responsabilité des dortoirs de la maison. La fabrique de soies à coudre de M. Metz, à Fribourg en Brisgau, et le dévidage de soie de M. Richter-Lin-den, à Schoren, près de Bâle, se signalent par l’heureuse alliance d’un patronage bienveillant et d’une liberté très grande laissée aux jeunes filles qui trouvent abri dans ces internats manufacturiers. En Angleterre, à la filature de lin de Gildford Mills (Irlande), les chefs d’établissement ont choisi dans leur personnel un certain nombre de familles particulièrement recommandables, et ils placent chez elles les jeunes filles sans parens dans la localité. Le même système se rencontre dans les fabriques de toiles de Carnoustic (Forfarshire-Ecosse).

Pour rendre les mères à la famille, un des meilleurs moyens, c’est de faire travailler les jeunes filles à l’usine de seize à vingt-deux ou à vingt-cinq ans : cela peut paraître rude, mais cela est souvent nécessaire. A cet âge, la jeune ouvrière peut amasser un petit pécule ; dans cet espace de temps, qui comprend de cinq à dix années, il lui est facile, si elle est un peu énergique, d’épargner sur son salaire 1,500, 2,000 francs ou plus. C’est assez pour lui rendre l’indépendance et assurer la prospérité de la famille à venir. Si l’on a pris soin en outre, comme dans quelques-uns des établissemens que nous avons étudiés, de lui apprendre dans les heures de repos quelque travail sédentaire, celui de la machine à coudre ou à piquer par exemple, elle aura dans son intérieur une source de profits qui, se joignant à ceux du mari, donneront l’aisance au ménage. Déjà la filature, le moulinage et le tissage automatique de la soie sont presque uniquement desservis par des jeunes filles de treize à vingt-cinq ans ; nous avons vu d’autre part qu’en Angleterre les fabriques d’épingles et les papeteries contiennent très peu de femmes mariées et presque uniquement des adolescentes. Il peut en être ainsi de la plupart de nos industries. La jeune fille s’amassant une dot dans la fabrique pour rester chez elle lorsqu’elle sera mariée et élever sa famille dans de bonnes conditions, c’est là le vrai progrès et le seul pratique.