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modèle, les tenir toujours en bon état, c’est là une des préoccupations des industriels habiles. La production d’une usine a deux facteurs, le matériel et le personnel ; celui-ci n’est pas moins important que celui-là. Un corps d’ouvriers vigoureux, capables, attentifs, dispos, ayant le cœur à l’ouvrage, cela fait aussi partie d’un bon outillage de manufacture : ne serait-il pas possible qu’une moins longue durée de travail améliorât le personnel ouvrier ? La grande industrie peut encore se prêter à d’autres adoucissemens, quelques hommes généreux en ont donné la preuve. A la jeune mère que les dures exigences de la destinée forcent au travail de fabrique, peut-on ménager le temps et les ressources, pour réparer ses forces, pour garder et allaiter son enfant ? M. Jean Dollfus a le premier donné en ce sens un grand exemple, qui a été suivi par quelques fabricans de l’est : c’est celui de laisser aux femmes en couches leur salaire pendant six semaines depuis le quinzième jour après l’accouchement, à l’unique condition qu’elles resteront chez elles à se soigner et à soigner leur enfant. Auparavant elles n’attendaient pas d’être complètement remises pour reprendre leur travail. Il en résultait pour la mère un affaiblissement général de la santé, des infirmités précoces, et, pour l’enfant, abandonnée des soins mercenaires, le rachitisme le plus souvent, quelquefois une mort prématurée. Le nombre des femmes employées dans les établissemens de M. Dollfus était de 1,150 ; la mortalité des enfans est en général à Mulhouse, de 35 à 40 pour 100 ; elle se réduisit pour le personnel de l’usine Dollfus-Mieg à 24 et 28 pour 100. La dépense annuelle a été de 8,000 francs. Ainsi la mortalité des enfans a été réduite d’un tiers, cela se peut calculer parce que les morts se comptent ; mais quel a été l’accroissement de la santé, de l’énergie, de l’entrain au travail, quelle a été la plus-value de l’ouvrage de ces jeunes mères, alors qu’elles sont rentrées dans l’usine complètement remises, sans inquiétudes, sans fatigues et sans regrets, voilà ce que les chiffres ne peuvent exprimer. Tout le monde ne peut avoir la générosité de M. Dollfus, mais il est d’autres moyens pour mener au même but. On a imaginé dans certaines usines de Mazamet une combinaison qui ménage tous les devoirs, toutes les convenances et tous les intérêts : on a créé un atelier spécial où les jeunes mères sont employées au triage des laines, et où elles peuvent, tout en allaitant leurs enfans, continuer leur besogne. C’est une sorte de crèche industrielle où tout est réuni : la mère, l’enfant et le travail.

Dans une vaste manufacture, ne peut-on trouver pour les préparations ou pour le finissage quelque tâche aisée qui s’exécute dans un atelier particulier ? La grande industrie est moins implacable au fond qu’elle n’en a l’apparence : elle s’adoucit et devient clémente quand on sait la prendre. L’Angleterre nous offre un