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universel direct, décourager les esprits indépendans et sensés qui cherchent à en modifier les conditions ; nous ne considérons que le point de vue de l’abstention et les remèdes propres à la combattre. Or le suffrage à deux degrés, lorsqu’il était en vigueur, était loin d’empêcher l’abstention, il l’empêcherait encore moins aujourd’hui, car, si nous avons hérité de quelques-unes des passions de nos pères, nous n’avons plus leur foi ou leurs illusions. M. Taine invoque l’exemple des élections municipales ; il croit y voir une preuve du zèle que l’on pourrait attendre des électeurs du second degré quand on ne leur demanderait que de choisir, dans leur commune ou dans leur quartier, les hommes les plus honorables et les plus capables, qu’ils chargeraient d’élire à leur place leurs conseillers-généraux ou leurs députés. L’exemple n’est pas concluant, car les abstentions ne sont pas plus rares dans les élections municipales que dans toutes les autres. L’analogie n’est d’ailleurs qu’apparente entre ces élections et un degré indirect de suffrage. Le choix de conseillers municipaux — mandataires directs de leurs concitoyens pour des intérêts qui les touchent de près et qui sont facilement compris de tous — rencontrera toujours des électeurs incomparablement plus zélés que celui de simples intermédiaires chargés du mandat indéfini de pourvoir, en faisant eux-mêmes de nouveaux choix, à des intérêts généraux qui n’éveillent chez la plupart des électeurs que de vagues et obscurs soucis.

On trouve, dans une pétition à l’assemblée nationale[1], une combinaison ingénieuse qui allierait les avantages du suffrage à deux degrés avec ceux du suffrage direct. C’est une sorte d’organisation légale, par voie d’élection, des comités électoraux. Le suffrage universel pourrait ainsi se soustraire aux influences sans mandat, qui garderaient d’ailleurs toute liberté pour se produire, soit individuellement, soit sous la forme de comités libres. Il choisirait lui-même ceux qui devraient l’éclairer dans ses choix définitifs, sans abdiquer entre leurs mains et sans s’interdire d’écouter d’autres conseils. L’idée n’est pas impraticable, et l’institution proposée pourrait rendre des services, si elle ne devait pas se heurter, plus encore que les élections dont elle serait la préface, à l’indifférence des électeurs. L’abstention du plus grand nombre laisserait trop souvent la haute main, dans les comités officiels, aux minorités ardentes, et ferait tourner à leur profit la confiance inspirée par le caractère électif de ces comités.

La représentation des minorités a été ici même[2] l’objet de remarquables études. Il semblerait qu’elle dût se faire sa place dans

  1. Pétitions à l’assemblée nationale, par M. Charles Beaussire.
  2. Voyez l’étude de M. Aubry-Vitet, 15 mai 1870, et tout récemment celle de M. de Laveleye, 1er novembre 1871.