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de salut, les hommes les plus propres par leur éducation et par leur position à diriger le suffrage universel montrent plutôt des passions que des idées. On sait à peu près ce qu’ils ne veulent pas ; ils ne savent pas toujours eux-mêmes ce qu’ils veulent. S’ils entrent dans un parti ou dans une coalition de partis, ils n’y apportent ou n’y acceptent volontiers que des programmes négatifs, pleins d’équivoques ou de réticences quant au but qu’il s’agit de poursuivre. Ce n’est pas toujours duplicité ; c’est souvent l’hésitation sincère d’une âme en proie au scepticisme. Il faut que l’élite du corps électoral sache réagir contre ces habitudes d’abstention sous une forme ou sous une autre, si elle ne veut pas que la masse recule à son tour devant des devoirs que les plus sages ont de la peine à bien comprendre et à bien remplir.

Le suffrage universel a surtout besoin de trouver dans l’assemblée qu’il a élue, dans le gouvernement institué par cette assemblée, une décision plus nette et plus ferme. Loin de nous la pensée d’incriminer deux pouvoirs qu’honorent les intentions les plus droites et qui ont également bien mérité du pays par les services les plus éminens. Nous reconnaissons les difficultés d’une situation sans exemple ; nous souhaiterions seulement des efforts plus énergiques pour tourner ces difficultés, s’il n’est pas possible de les vaincre. On sait, par les scrutins publics, combien les abstentions sont nombreuses parmi les députés chaque fois qu’ils ont à prendre une résolution importante. Ces abstentions sont quelquefois une protestation légitime contre une question mal posée, dont la solution, quelle qu’elle soit, paraît inopportune ou dangereuse ; mais souvent aussi elles trahissent la répugnance à se décider, à s’engager pour l’avenir. Beaucoup, quand ils ne s’abstiennent pas, ne prennent un parti qu’au dernier moment ; ils forment comme une masse flottante sur laquelle nul ne peut compter et de qui le pays ne peut attendre aucune direction efficace. Sauf certains partis ou plutôt certaines individualités extrêmes, les divers groupes entre lesquels se partage l’assemblée ne suivent ni des principes fixes ni une ligne de conduite clairement tracée. Les uns réclament ou acceptent des institutions républicaines sans en définir les conditions essentielles, les autres avouent leurs préférences soit pour la monarchie en général, soit pour telle dynastie, sans toutefois s’engager absolument envers une forme quelconque de gouvernement ; ils ne veulent être que des conservateurs libéraux, et ce serait le parti le plus sage, s’ils étaient d’accord entre eux et avec eux-mêmes sur les bases d’une conciliation sincère et durable entre les intérêts de l’ordre et ceux de la liberté. Les uns et les autres, par des motifs divers, soutiennent le gouvernement actuel, lui accordent despotes de confiance,