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ne se dérobe pas à un devoir dans les temps douloureux, et ce devoir, M. Thiers l’a reçu et accepté le jour où il a été élu par les populations de vingt-six départemens, le jour où l’assemblée lui a remis le gouvernement à Bordeaux au mois de février 1871, le jour où la chambre, par une décision nouvelle, lui a donné la présidence de la république à Versailles, au mois d’août de l’année dernière. Que voulait dire en effet cette proposition Rivet, qui affectait un certain caractère organique, et qui est encore aujourd’hui la seule constitution de la France ? Elle avait un sens parfaitement clair, elle se fondait sur ce que « la prorogation des fonctions conférées au chef du pouvoir exécutif, limitée désormais à la durée des travaux de l’assemblée, dégageait ces fonctions de ce qu’elles semblaient avoir d’instable et de précaire… » En d’autres termes, M. Thiers devenait un président inamovible, garanti désormais dans sa situation par un acte éclatant de confiance. Si l’assemblée s’enlevait spontanément le droit de le révoquer, sauf dans des cas de responsabilité exceptionnelle, le président de la république, de son côté, n’avait plus évidemment le droit de se retirer pour un simple dissentiment de détail. Gouvernement et assemblée restaient en face d’un devoir commun, dont ils devaient poursuivre ensemble l’accomplissement jusqu’au bout.

Ce devoir est-il donc rempli ? Le territoire est-il délivré de l’occupation étrangère ? La réorganisation de la France est-elle achevée ? A-t-on rendu ce malheureux pays, nous ne disons pas à la prospérité et à la grandeur, mais à des conditions à peu près régulières où il puisse attendre sans inquiétude un lendemain ? Non, n’est-ce pas ? Nous n’en sommes pas là, nous n’avons pas vu poindre le jour bienfaisant où la France, relevés et guérie de ses blessures, retrouvera la place à laquelle elle a droit parmi les nations. Certes de généreux efforts ont été tentés depuis un an, ils étaient dignes de l’intelligence et du patriotisme de ceux qui se sont dévoués à cette tâche, de M. le président de la république entre tous. On ne peut pas dire néanmoins que l’œuvre soit bien avancée, et puisqu’il y a tant à faire encore, puisque les considérations supérieures d’intérêt national qui ont inspiré ce pacte de Bordeaux, renouvelé et fortifié à Versailles, subsistent toujours, le moment était-il venu de se rejeter dans les aventures, d’ajouter à des divisions invétérées des divisions nouvelles, d’offrir au pays, qui attend une direction, à l’Europe, qui nous regarde avec un intérêt tempéré par la défiance, le spectacle des incohérences et des faiblesses des pouvoirs qui nous gouvernent ? Sait-on ce qui condamne le plus sévèrement la dernière crise ? C’est que le pays s’est senti atteint, ne fût-ce qu’un instant, dans sa confiance, et que la Prusse s’est demandé, dit-on, si elle n’allait pas augmenter son armée d’occupation. Voilà le résultat. Il faut que M. le président de la république en prenne son parti, il se doit à son œuvre, il se doit à lui-même, de couronner sa carrière de cette suprême illus-