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discrètement, et qu’alors ils la présentent comme un dérivatif de la prostitution. C’est trop tard que les convertis apprennent à connaître le revers de la médaille, car il leur est difficile de s’échapper du territoire d’Utah, — faute d’argent. Le pape Brigham Young y a mis bon ordre.

Les efforts persévérans du mormonisme pour se répandre sur toute la terre témoignent d’une foi vraiment tenace ; on dirait un monstre allongeant mille bras qui cherchent à s’insinuer dans toutes les fentes, à envelopper tout ce qui ne peut résister, qui reviennent toujours à la charge malgré les insuccès. A peine l’église des saints était-elle fondée en Amérique, que des missionnaires furent dépêchés aux quatre coins du monde. Le rapport détaillé publié en 1869 par George A. Smith, l’historien officiel de l’église mormonne, cité par M. Rae, donne à cet égard de curieux détails. Dès 1837, huit anciens partirent pour l’Angleterre, et commencèrent leurs prédications à Preston, en Lancashire ; en quelques mois, ils eurent baptisé plus de 1,500 personnes. Trois ans plus tard, une nouvelle mission, dont Brigham Young lui-même fit partie, arriva d’Amérique et parcourut le royaume-uni pendant un an ; elle installa des presses pour la publication de livres et de prospectus, et organisa une agence d’émigration. Après l’Angleterre, le pays qui sembla aux mormons le mieux préparé pour leur propagande fut la Palestine. — Les Juifs attendaient toujours le Messie ; s’ils allaient accepter comme tel le prophète Joseph Smith ? Par une si longue attente, ils avaient en quelque sorte acquis le droit d’être consultés comme experts en cette matière. — Les Juifs ne prirent pas le change, et la mission revint de Jérusalem sans avoir rien obtenu. Plus tard, il est vrai, des enfans d’Israël firent leur apparition dans la cité sainte, mais ce fut pour y ouvrir des banques. Ils restent « gentils, » et sont délestés des croyans. Les missions mormonnes prirent ensuite pour objectif l’Océanie ; dans les îles de la Société, plus de 1,200 des indigènes furent baptisés en 1843, et les choses marchaient à merveille quand le protectorat français vint mettre un terme à ces menées. En 1851, les apôtres furent expulsés, et on défendit aux convertis de continuer les pratiques de la nouvelle religion.

L’ancien qui vint à Paris en 1849 constata « qu’il avait les mains liées par la sévérité des lois. » Le préfet de police d’ailleurs lui refusa la permission de prêcher. En Allemagne, l’accueil qui attendait les apôtres ne fut pas plus gracieux. L’un d’eux fut expulsé de Hambourg par les autorités ; deux autres, qui arrivèrent à Berlin en 1853, trouvèrent « qu’il y était impossible de prêcher ou de publier les vérités de l’œuvre du dernier jour, à cause de l’intolérance religieuse. » Ils avaient écrit au ministre des cultes pour lui demander l’autorisation de parler en public ; la réponse fut une citation à comparaître devant le commissaire de police, où on les pria de passer la frontière dans les vingt-quatre heures, sous peine d’y être conduits par les gendarmes. A Vienne, les anciens Pratt et Ritter, après avoir perdu deux mois à apprendre l’allemand,