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atténuante ; en général ceux qui tuent ne le font guère par amour de l’humanité. D’ailleurs la plupart des victimes étaient « coupables ; » les huguenots l’étaient de « fédéralisme, » les autres de « contre-révolution. » On ne peut nier que le fait de septembre n’ait accompli « une fonction utile » dans l’ordre fatal de la révolution. C’est là, ajoute-t-on, tout ce que l’on peut dire « pour la justification » de ces journées, et c’est bien assez.

Ce n’est du reste pour les auteurs de la révolution parlementaire qu’une occasion d’expliquer dans toute son audace le beau principe de la souveraineté du but. Leur critérium politique est ce qu’ils appellent « la certitude morale. » C’est, selon eux, l’unique juge de toutes les discussions. Ceux qui se mettent « en hostilité » avec cette certitude morale, ou qui même montrent « de l’incrédulité, » ceux-là « ne font pas partie de la société, » et il est permis de les traiter « en ennemis. » Sans doute la société peut, si elle le veut, « les tolérer, » mais elle n’y est pas obligée ; elle peut les priver de tout moyen d’action et d’influence ; il serait absurde que la société accordât à ceux qui ne la reconnaissent pas « le bénéfice de la protection. » Il n’y a pas « de droits » pour ceux qui méconnaissent « le devoir national. » Bien plus, la société a le droit de les déposséder « d’avance, » même avant qu’ils n’aient agi. Il suffit qu’on puisse les désigner « nommément. » Alors on peut « procéder » à leur égard, et « ils n’ont rien à réclamer. » Ainsi sont justifiés la loi des suspects et tout le terrorisme révolutionnaire. L’histoire fournit d’ailleurs bien des exemples de ce mode sommaire de justice admis par nos apôtres de fraternité ; ils s’en arment comme d’autant de preuves, tout en reconnaissant qu’il est dangereux d’avoir recours à de telles exécutions quand elles n’ont pas en vue « l’intérêt du but social. »

Tels sont les sophismes d’une école doublement démagogique et doublement fanatique, qui associait les fureurs surannées des ligueurs aux fureurs toutes vivantes encore des jacobins, école insensée qui ne réussissait qu’à rendre odieux à tous les honnêtes gens les principes de la révolution et de la démocratie, entretenait dans le parti républicain un fanatisme farouche et stupide, et n’enseignait au peuple d’autre vertu que l’amour et l’espoir de la tyrannie. Sans doute les indigestes préfaces de Buchez[1] ne paraissaient pas de nature à faire beaucoup de mal, car elles étaient illisibles ; néanmoins elles ont eu une véritable influence dans le

  1. M. Michelet, dans son Histoire de la révolution, est admirable lorsqu’il parle de ces monstrueuses préfaces. Ce serait, suivant lui, au baron d’Eckstein, écrivain déjà par lui-même passablement obscur, que Buchez et son collaborateur auraient emprunté le fond de leurs idées. « Comme ce brouillard, dit-il, leur semblait encore trop clair, ils y ajoutent tout ce qu’ils ont d’ignorances, de confusions, de malentendus.