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contre le mur, pour apprendre aux enfans de ce pays à respecter les soldats allemands.

Que Lischen ne se désole pas ; il y en a d’autres à Paris. Malheureusement je ne sais plus quand nous y entrerons. Nous tournons autour de Paris sans l’entamer, et la ville n’a pas la mine de songer à se rendre. Si cela dure, nous périrons tous de misère sous ses murs. Les camarades sont découragés comme moi, et nos officiers, malgré leur air d’assurance, s’ennuient aussi terriblement. C’est que ce n’est pas une chose gaie d’être là depuis un mois, immobiles au port d’armes, sous une grêle de mitraille. Ce sont tous les jours de nouvelles fosses à creuser et de nouveaux adieux à faire aux pauvres camarades. Pourtant nos chefs ont eu la prévoyance de placer aux postes avancés les Bavarois et les Saxons. C’est un des traits admirables de leur politique d’avoir compris que nos alliés s’attacheraient d’autant plus aux destinées de l’Allemagne qu’ils auraient fait pour elle plus de sacrifices, car l’homme est ainsi, qu’il ne renonce pas aisément à ce qui lui a coûté cher.

Calme donc, ma Dorothée, les anxiétés qui te dévorent, car dans ma nouvelle résidence je cours peu de dangers, et si ce n’était l’absence de ma bien-aimée, je ne serais vraiment pas trop à plaindre. La cave de la vieille dame est excellente et abondamment pourvue ; la cuisinière est habile, et la maison chaude et bien close.

J’enferme dans ma lettre un petit bouquet cueilli pour toi dans les bois ; chacune de ces petites fleurs d’automne te parlera de l’amour d’Hermann. Puissé-je te revoir avant qu’elles soient flétries et tombées en poussière ! Que de fois ton souvenir aimé hante ma pensée ! Que de fois, les pieds dans la boue, le front dans le brouillard, j’ai fait pour nous de beaux plans d’avenir ! C’est dans une maisonnette comme celle-ci que je voudrais vivre avec toi, ma Dorothée ! C’est dans un de ces nids de fleurs et de verdure, dans ce pays d’une grâce splendide, d’une fertilité si prodigue, qu’il serait doux de couler ensemble de longs jours. Malheureusement on ne connaît aux rives de la Sprée ni cette élégance, ni cette richesse, lui cette vie facile et abondante, et c’est là pourtant qu’il faut fixer nos rêves… Quand je pense à notre laborieuse pauvreté, à notre existence si restreinte et si précaire, à nous autres Allemands, à nos maigres régals, et que, promenant ici mes regards autour de moi, je vois ces villages heureux, ces habitations princières, je sens s’élever en moi une tempête d’indignation et de colère, et je pense qu’on ne saurait trop châtier l’insolente prospérité de ces gens-là… Quelque ruines que nous les laissions, ils seront toujours plus riches que nous…

Adieu ; je ne puis songer à ces choses de sang-froid… A quoi pense le ciel d’avoir livré un pareil pays à de telles gens !