Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 97.djvu/739

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’armée allemande assiège toujours Paris. Toute chance de paix a disparu, les négociations ont échoué ; la révolution sur laquelle tu comptais a misérablement avorté. Toutes nos espérances, une à une, s’évanouissent en nuages de poudre, ou se fondent en vapeurs de sang.

La misère est grande ici, et ajoute ses horreurs aux inquiétudes qui nous dévorent ; l’Allemagne entière est dans les larmes. La ville d’Orléans prise, perdue, reprise, nous a coûté des flots de sang ; la Bavière et le Wurtemberg y ont été décimés. Grâce à Dieu, cette fois encore les soldats de la Prusse ont été retenus loin du péril.

La résistance insensée de la France nous désespère ; toutes les lettres qui nous arrivent du théâtre de la guerre attestent combien nos ennemis sont acharnés et opiniâtres. Les francs-tireurs font beaucoup de mal, ce sont de misérables assassins qui ne méritent que la potence, c’est leur faire trop d’honneur que de les fusiller sans pitié. Le lieutenant Felder écrit à sa mère que les paysans eux-mêmes osent résister et tenter une défense impossible, on voit maintenant combien le fond de ce peuple est méchant et obstiné. Ils obligent l’armée allemande à de terribles représailles, on incendie parfois des villages entiers pour punir la résistance de quelques-uns, et l’on fusille sans merci tout homme pris les armes à la main. Arnold Felder dit que rien n’est plus saisissant et plus beau que l’aspect de ces villages flambant la nuit dans la campagne ; les lueurs rouges se reflètent sur les champs couverts de neige, et font étinceler de mille feux les arbres revêtus de givre. On ne peut se défendre d’une sorte de sombre enthousiasme en lisant de tels récits : la guerre apparaît comme un grand poème d’une tragique beauté… Quand on regarde autour de soi, l’impression est bien différente ; rien que des misères, le deuil et les larmes, et la faim qui s’assied au foyer de la veuve, au chevet du vieillard sans enfant : plus de père, plus de fils, l’aisance et le bien-être disparus avec la joie du logis…

Hâtez-vous donc de prendre Paris, on ne conçoit pas ici que vous tardiez autant ; pourquoi ne pas forcer cette ville à capituler aussi bien que Strasbourg ? Les ménagemens dont on use à son égard sont faits pour irriter le cœur des Allemands. Est-il juste d’avoir plus d’égards pour les souffrances des Parisiens que pour les nôtres ? Ne saurait-on faire comprendre au roi combien cette funeste douceur blesse douloureusement ses fidèles sujets ? Ayez recours au bombardement, si vous ne pouvez venir à bout autrement de cette orgueilleuse ville ; mais, pour Dieu, finissez-en, et revenez au plus tôt. O mon Hermann ! que nous serions heureux l’un près de l’autre ! combien nous jouirions doucement des riches présens que tu m’as envoyés ! J’ai reçu les deux grandes caisses et les