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vérité je ne suis point coupable ; tâchez donc de prendre votre mal en patience, et de ne pas m’accuser légèrement…

Quant à toi, ma chère Dorothée, je te conseille de ne point plaisanter sur les poupées parisiennes, que tu ne connais pas : elles sont fort aimables, elles ont autant de vertu qu’on en a à Berlin ; il est vrai qu’elles lisent peu la Bible, ce qui fait qu’elles n’ont pas la tentation de comparer leur cœur à l’arche de Noé…

Tu feras bien, ma chère enfant, de renoncer aux épigrammes contre les femmes de France comme aussi aux comparaisons bibliques ; borne ton ambition à rester douce et tendre. C’est ainsi que tu as su me plaire, et que tu réussiras à fixer le cœur de ton fidèle Hermann.

BALTHAZAR FLOCK A HERMANN SCHLICK.


Mayence, 18 février.

Que se passe-t-il donc ? Ta Dorothée écrit à ma sœur pages sur pages, toutes pleines du plus touchant désespoir. Elle se plaint que tu ne l’aimes plus, et elle en voit la preuve aussi bien dans tes longs silences que dans la dureté de tes lettres. J’ai tenté de la rassurer, de tout expliquer à ton avantage ; pourtant l’inquiétude me gagne à mon tour. Se pourrait-il que le sage et vertueux Hermann, si fier de sa vertu et de sa sagesse, si hautain pour les faiblesses d’autrui, si assuré dans ses propres forces, se pourrait-il vraiment qu’il se fût laissé séduire par les folles perversités de la grande Ninive ! Se pourrait-il qu’il eût oublié ses sermens, trahi son amour, et qu’il n’opposât aux reproches les plus passionnés comme aux plus tendres protestations que de piquantes railleries ou d’injurieux silences ! Il y a quelque malentendu qu’il est de mon devoir d’éclaircir, parle donc, dis la vérité ; tout vaut mieux que le doute. Tu connais ma vieille amitié, et tu sais que tu peux te fier à moi… Si tu le désires, j’apaiserai Dorothée et t’obtiendrai son pardon, car elle t’aime et son cœur plaide en ta faveur.

Ma sœur t’envoie son souvenir cordial.

HERMANN A BALTHAZAR FLOCK.

Montmorency, 27 février.

Je me doutais bien que Dorothée te ferait part de ses griefs contre moi ; la manie qu’elle a de se plaindre ne pouvait manquer de se traduire par d’abondantes confidences à mes dépens. Le joli personnage qu’elle me fait jouer à tes yeux, et que j’ai sujet de lui rendre grâce ! Me voici transformé par elle en une sorte de docteur Faust égaré dans les délices du Valpurgis.

Il est dur de voir son caractère et son honneur à la merci des folles imaginations d’une jeune fille jalouse. Au fond, elle ne peut