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C’est au nom de ces principes que M. Louis Blanc fait le procès à l’assemblée constituante ; il lui reproche de n’avoir abattu l’aristocratie de la noblesse et du clergé que pour y substituer une aristocratie bourgeoise, et d’avoir substitué les privilèges de fortune aux privilèges de naissance. Pour donner corps à ces accusations, il invoque, la division en deux classes de citoyens : citoyens actifs et citoyens inactifs, distinction fondée sur la propriété. Dans toutes ces réformes des constituans, qu’y avait-il pour le peuple ? L’abolition des titres de noblesse flattait la vanité des bourgeois ; en quoi profitait-elle au peuple ? L’accaparement des biens du clergé ne servait qu’à ceux qui pouvaient en acheter. Le vote libre des impôts était-il utile à ceux qui ne payaient pas même de contributions ? Sans doute tout cela était juste et utile ; mais rien de tout cela ne profitait à la classe pauvre. Cependant après ces amères critiques M. Louis Blanc reconnaît que dans les campagnes, « le sort du peuple a reçu une immense amélioration. » Il est difficile de se contredire et de se démentir soi-même avec une plus parfaite sérénité.

Les girondins ont sans doute été plus loin que les constituans, et on devrait au moins leur savoir gré d’avoir été républicains. M. Louis Blanc leur reproche deux choses : le fédéralisme et l’individualisme. Encore leur pardonne-t-il leur fédéralisme, fort peu prouvé d’ailleurs, comme on sait ; mais leur individualisme est le même que celui des constituans. C’est toujours la prédominance exclusive de la classe bourgeoise, le principe du droit individuel, l’oubli des devoirs sociaux, exigés par le principe de la fraternité. Pour le prouver, il met en présence le projet de déclaration des droits de la constitution girondine rédigée par Condorcet et le projet de Robespierre lu et approuvé aux jacobins. Comme l’a très bien fait remarquer M. Edgar Quinet, Robespierre tenait très peu à ses idées sur la propriété telles qu’il les avait exposées à la tribune des jacobins, car il n’a nullement réclamé en faveur de ces idées lors de l’adoption définitive de la constitution de 93, laquelle est si peu socialiste que sa définition de la propriété est précisément la même que celle du code civil.

L’étrange théorie qui consiste à faire représenter le principe de la fraternité par les hommes de la terreur est empruntée par M. L. Blanc aux auteurs de la révolution parlementaire. Ce qui lui appartient en propre, c’est d’avoir substitué au principe chrétien le principe socialiste ; tandis que les premiers ne voyaient dans le jacobinisme qu’un catholicisme inconscient et inconséquent, M. Louis Blanc y voit un socialisme anticipé. Ce sont là deux erreurs historiques aussi graves l’une que l’autre sur lesquelles nous ne voulons pas insister, aimant mieux en laisser la réfutation aux historiens