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maisons et des petits jardins n’est-elle pas faite depuis l’origine du monde ? N’est-ce pas là ce que naguère encore le pauvre allait chercher dans les villages où l’on pouvait placer son habitation sur des communaux dont l’administration municipale était peu soucieuse ? Chacun y prenait son carré de terrain, et la maison se bâtissait par le concours gratuit des voisins ; il n’y avait ni loyer à payer, ni achat à opérer ; c’est ainsi que bien des hameaux se sont formés. Voilà ce que M. Godin constate, et il ajoute : « Qu’en est-il résulté ? Rien que la misère ; ces maisons ont toujours offert et offrent encore le spectacle de toutes les privations, de l’ignorance la plus profonde et d’une manière de vivre qui est tout le contraire de cet idéal familier que des écrivains, aux bonnes intentions sans doute, se complaisent à décrire sous des formes entraînantes pour le vulgaire, parce qu’elles flattent le préjugé et l’habitude, mais qui n’en sont pas moins dénuées de raison et de vérité. » C’est un premier coup de boutoir à l’adresse de bien des gens ; nous ne sommes pas au bout, M. Godin redouble. « Le mérite des petites maisons et des petits jardins, continue-t-il, n’existe donc que dans les livres des hommes qui n’ont fait qu’effleurer ce grave sujet. La petite maison peut avoir de l’attrait pour le Parisien qui, après avoir passé six jours de la semaine dans un bureau ou dans le fond d’une arrière-boutique avec sa famille, sera content d’aller le dimanche respirer l’air de la campagne ; mais de besoins nés dans de semblables circonstances il ne faut pas induire des règles de science architecturale. »

Tenons-nous-le pour dit, nous sommes des intrus ; mais l’étaient-ils ces hommes de cœur et de bien qui les premiers ont construit à l’usage de leurs ouvriers des demeures propres et saines en les arrachant aux bouges où jusqu’alors ils s’étaient entassés ? M. Degorge par exemple, qui vers 1825 bâtit pour ses mineurs, à portée des fosses où ils travaillaient, des maisons à un étage, tirées au cordeau sur des rues soigneusement pavées ; — MM. Bourcard, qui en firent autant à Guebwiller ; M. de Marsilly, qui a donné à Anzin le type vraiment supérieur de la maison d’ouvrier comme installation et comme coût ; enfin M. Jean Dollfus, qui à Mulhouse est venu à bout d’un problème jugé insoluble : réaliser pour l’ouvrier ce qui existe pour la plupart des cultivateurs, le rendre acquéreur de la maison qu’il habite au moyen d’un amortissement confondu dans le loyer, donner cette destination à son épargne et, au bout d’un certain nombre d’annuités, le loger chez lui. Il ne s’agit plus ici de tableaux de fantaisie tracés par des écrivains, il s’agit d’hommes haut placés dans l’industrie et qui n’ont ni de conseils à prendre, ni de leçons à recevoir de personne ; ce sont, pour la petite maison et le petit jardin, de chauds initiateurs, et à leur suite on