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aujourd’hui seraient actionnaires, capitalistes et en même temps sociétaires travailleurs ; le montant des actions de chacun varierait de 1,000 à 10,000 francs, suivant l’importance des salaires et des appointemens de chaque individu. »

Engageante perspective ! Malheureusement, au lieu de se rapprocher de l’ouvrier, elle s’est effacée de jour en jour dans des plans lointains. Il croyait tenir la proie, il n’en a eu que l’ombre. Des empêchemens sont survenus successivement, et M. Godin n’est jamais à court pour les rendre sensibles. C’est cette maudite civilisation qui a tout fait, cette société décrépite qui a barré le chemin à la fortune de l’ouvrier ! Si les actions dont naturellement il devait jouir ne sont pas montées à 1,000 francs au moins, à 10,000 francs au plus, il doit s’en prendre aux traditions vieillies et à l’iniquité qui en résulte ; mais il peut avoir l’esprit en repos : tout lui sera rendu au centuple à la prochaine évolution sociale, imminente dans les civilisations européennes. Les comptes seront alors réglés, l’arriéré soldé ; en attendant, qu’il se résigne à la part que la loi lui fait. M. Godin en gémit comme lui, comme lui il appelle une réforme ; pour l’instant et comme situation provisoire, il n’en fait ni plus ni moins que les autres, il obéit à la loi et reste propriétaire.

L’est-il à titre avantageux ? Ses comptes vont nous le dire. Il se rend d’abord cette justice que le revenu à ses yeux n’a eu qu’une importance secondaire, et que son but principal était que les constructions répondissent à leur objet. C’est avec cette préoccupation exclusive qu’en avril 1859 il traça les fondations de l’aile gauche ; elle était bâtie et couverte au mois de septembre de la même année, et fut achevée en 1860 ; une partie de la population y fit son entrée à cette époque, mais le bâtiment ne fut complètement habité qu’en 1861. A partir de ce moment, l’œuvre reçut des développemens successifs dans un ordre régulier et proportionnellement aux ressources qui devaient y faire face :


La propriété sur laquelle le familistère est construit avait coûté environ 50,000 fr.
Il avait été dépensé pour l’aile gauche 300,000 fr.
En 1860 commencèrent les premières dépendances, ou bâtimens d’exploitation en façade, coûtant environ 50,000 fr.
En 1862, la partie centrale fut commencée, construite en 1863 et achevée en 1864 ; elle fut achevée en 1865 et avait coûté 400,000 fr.
En 1866 on construisit l’édifice destiné aux soins de la basse enfance, ce que M. Godin appelle la nourricerie et le pouponnât, édifice qui a coûté environ 40,000 fr.
Les écoles et le théâtre, construits en 1869, ont coûté 125,000 fr.
Les bains et les lavoirs, construits en 1870, ont coûté 35,000 fr.
L’édifice dans son état actuel a donc coûté 1,000,000 fr.

L’aile droite et ses dépendances restent à construire.