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impitoyable Alexandre Iaroslavitch (saint Alexandre Nevsky), remportés sur les Finnois, les Allemands, les Suédois et les Lithuaniens, n’empêchèrent pas son père le grand-prince et ses autres parens de subir la suzeraineté des Mongols. Non-seulement la chrétienté semblait incapable de les défendre, mais les Germains et les Scandinaves, dont les Mongols avaient respecté le territoire, profitaient de leurs désordres pour les accabler. Le fils du grand-prince, Constantin, fut obligé de partir pour la Horde, et Iaroslav lui-même dut se décider à ce long et périlleux voyage, afin de recevoir l’investiture des mains du kha-khan. Plan Carpin suppose que Tourâkinah le fit empoisonner. Quant à Michel, qui était revenu à Tchernigov, il reçut l’ordre d’aller trouver Bâtou. « Les Tartares adorent le côté du midi, dit Plan Carpin, comme si c’était une divinité, et contraignent tous les grands qui se rendent chez eux d’en faire de même. Il n’y a pas longtemps qu’un duc de Russie, nommé Michel, s’étant venu rendre en l’obéissance de Bati, ils le firent premièrement passer entre deux feux, puis ils lui commandèrent de faire l’adoration vers le midi, à Djinghis khan ; il répondit qu’il s’inclinerait volontiers devant Bati et les siens, mais jamais devant l’image d’un homme mort, cela n’étant permis aux chrétiens. » Le refus de Michel fit naître une contestation qui arriva jusqu’aux oreilles de Bâtou ; il donna l’ordre de tuer le prince dans le cas où il s’obstinerait dans sa résistance. Un des siens l’encouragea jusqu’au dernier moment à rester fidèle à sa foi, et le Rurikovitch, ainsi que le boyard, moururent plutôt que de se résigner à un acte qu’ils regardaient comme une véritable apostasie. Michel, qui se rendait bien compte des dangers de ce voyage, avait emporté avec lui le pain consacré, afin de trouver dans l’Eucharistie la force nécessaire pour braver les ennemis de l’Évangile. Quand l’officier de Bâtou vient signifier au prince qu’il doit se soumettre ou mourir, son fils Boris essaie de le décider par ses larmes à obéir. Les boyards de Rostov qui l’avaient accompagné proposent, si Michel consent à imiter les autres princes, de s’obliger par vœu à une pénitence solennelle. Le boyard Féodor seul n’entend point qu’on trouve des accommodemens avec le ciel, et il déclare qu’on ne peut payer trop cher la couronne de gloire que le Christ réserve à ses témoins. Ce parti héroïque était fait pour plaire au descendant des « rois de la mer. » De même qu’ils entonnaient leur chant de mort au milieu des supplices, Michel, après avoir partagé l’Eucharistie avec l’intrépide boyard, se mit à chanter les psaumes de David. On le foula aux pieds avec une fureur sauvage, puis on lui coupa la tête. Le corps de saint Michel, ainsi que celui de saint Féodor, qu’on avait jetés aux chiens, furent conservés par les chrétiens, comme on gardait les reliques des anciens martyrs.