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« chair bouillie » pour amadouer les « esprits » pervers du monde infernal, il sait les contenir à l’aide de l’eau bénite, « dont on use en l’église romaine, et qui a une grande vertu pour chasser les malins esprits. » Les Mongols, alors assez éclectiques, sont portés à s’adresser aux prêtres des divers cultes afin de juger par expérience quelle magie est supérieure à l’autre. Rubruk les a vus tous suivre la cour « comme les mouches à miel suivent les fleurs, car Mangou khan donne à tous, et chacun lui désire toute sorte de biens et de prospérités, ayant été de ses plus particuliers amis. » L’histoire des Mongols prouve qu’ils ne se sont prononcés pour le bouddhisme, après de longues hésitations, que parce que les miracles du talélama, qui même de nos jours ont émerveillé deux prêtres français, MM. Huc et Gabet, l’emportaient réellement sur les prodiges des autres religions. Rubruk avoue très naïvement que l’impuissance où il s’est vu d’opérer aucune merveille lui a fait le plus grand tort aux yeux du kha-khan. « Si Dieu, dit-il, m’eût fait la grâce de tels miracles que Moïse avait faits jadis, peut-être Mangou khan se fût-il converti. »

Les Rurikovitchs de cette époque semblent attacher moins d’importance aux miracles qu’au pouvoir politique de la papauté, qui pouvait armer pour leur défense des milliers de croisés. Les luttes de la Russie contre les Porte-glaive avaient fini par leur faire comprendre la pesanteur de « l’épée de saint Pierre. » Toutefois on a fort exagéré les concessions qu’ils ont faites à la papauté sous l’empire de circonstances très difficiles. On avoue bien que les tentatives d’Honorius III (encyclique adressée aux princes russes, 1227) n’ont rien produit, que le neveu d’Innocent III, Grégoire IX, n’a guère été plus heureux avec Daniel, prince de Galitch (1231) ; mais on veut que le persévérant Innocent IV (1246) ait mieux réussi, et on ne consent pas à croire qu’un diplomate de la force de Jean du Plan de Carpin n’ait pas triomphé des répugnances des Rurikovitchs. Cependant il est certain qu’il n’obtint que des résultats insignifians. Les Russes, habitués au régime fédéral dans l’ordre politique, n’avaient aucun penchant pour l’autocratie religieuse, préparée par la centralisation politique des Romains, et qui devait aboutir logiquement à l’infaillibilité d’un homme. Le prince de Galitch et son frère Vassilko, en contact perpétuel avec les Magyars et avec les Polonais, se montrèrent momentanément plus favorables aux vues de la papauté. Lorsque Jean du Plan de Carpin repassa par Kiev, après avoir essayé en vain de convertir le kha-khan Kuyûk, il fut très content des dispositions de Daniel, qui plus tard reçut d’Innocent IV le titre de roi, et qu’un légat envoyé par lui couronna à Drognitchin, en présence des boyards et du peuple. La