Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 97.djvu/904

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que plus tard aux frères et aux sœurs, et cela dans des cas nettement déterminés par la loi. A Athènes, les tribunaux prenaient de bien autres libertés avec les testamens ; l’éloquence d’un plaideur et les passions qu’il savait exciter dans leur âme les décidaient aisément à substituer leur appréciation aux volontés du testateur. Le discours d’Isée sur l’héritage de Cléonyme nous en fournit un curieux exemple. Voici une succession dont on réclame le partage, au mépris du testament, sans apporter, à l’appui de cette demande, d’autres raisons que celles-ci. « Le testateur a eu l’intention d’annuler l’acte que nous attaquons ; s’il ne l’a pas fait, c’est que le temps lui a manqué, c’est qu’on n’a pas laissé parvenir l’archonte jusqu’à lui… Toute sa conduite prouve cette intention. » Plus loin, l’orateur dit en propres termes : « Si Cléonyme avait été assez insensé pour ne tenir aucun compte de nous, qui sommes les plus proches de lui par la naissance et qui étions le plus liés avec lui, cela vous suffirait, juges, pour casser à juste titre un pareil testament. » Pour que, sur d’aussi faibles présomptions, un simple collatéral ait pu espérer de faire tomber un acte dont il ne conteste pas la régularité, il faut que le jury athénien ait eu l’habitude d’annuler avec une singulière légèreté les testamens qui lui étaient déférés.

Nous arrêterons ici cette revue des institutions successorales d’Athènes ; nous ne parlerons ni de l’acceptation des successions, ni du partage et des rapports, ni d’autres questions accessoires qui nous entraîneraient trop loin sur un terrain où, par suite du petit nombre des textes, il subsiste encore bien des incertitudes. Il a fallu nous borner aux grandes lignes que permettent de déterminer les discours des orateurs attiques, surtout ceux d’Isée, et ce qu’on peut recueillir de renseignemens épars chez les historiens, chez les lexicographes, chez les philosophes et même chez les poètes comiques. Voici quelle est l’impression qui résulte de ce rapide examen. La loi attique, telle qu’on la trouve dans Isée, est comme à mi-chemin entre le droit primitif de la famille, né tout entier d’une étroite et puissante conception religieuse, et ce droit, déjà fondé sur l’équité et la raison, que travailleront à constituer, surtout sous l’influence de la philosophie grecque, les grands jurisconsultes romains du second et du troisième siècle de notre ère. On pourrait à cet égard comparer le droit attique, dans l’âge des orateurs que nous étudions, au droit romain des derniers temps de la république. Vous y retrouvez encore partout la trace d’un étrange et lointain passé : on se soumet à des traditions, on continue des pratiques qui ne s’expliquent que par des croyances déjà penchant vers leur déclin. En même temps vous voyez s’introduire des concessions et des tempéramens qui témoignent d’un secret et profond désaccord entre la loi et les