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de l’esprit du juge. Ailleurs[1], après un court et vif résumé qui a bien l’air de devoir clore le discours, l’orateur s’arrête et fait lire des témoignages destinés à prouver que Dioclès, l’instigateur du procès qu’on lui fait, est un homme de mauvaises mœurs et méprisé de tous. Il n’ajoute rien à cette lecture ; c’est sous cette impression qu’il veut laisser ses auditeurs. Il y a là un artifice assez insolite : c’est un raffinement. Il semble que le plaideur demande au jury de s’en rapporter moins à ses paroles qu’à l’évidence même des faits et à l’autorité des témoins qui les attestent. Au contraire, dans d’autres plaidoyers, la péroraison se détache d’une manière plus marquée que chez ses devanciers. On en jugera par celle qui termine le discours sur l’héritage de Dicéogène.


« Voilà tous les services qu’avec une fortune si considérable Dicéogène a rendus à la ville. A l’égard de ses proches, cet homme est ce que vous le voyez. Il en est parmi nous que, dans la mesure de ses forces, il a dépouillés de leur fortune, d’autres qu’il a laissés tomber, par misère, au rang des mercenaires. Sa mère, tous l’ont vue, assise dans le temple d’Ilithye, lui adresser des reproches que je rougirais de répéter, mais qu’il n’a pas rougi de mériter. Voyez ses intimes. Ce Mélas l’Égyptien, avec lequel il était lié dès l’enfance, il lui a volé l’argent qu’il en avait reçu, et c’est aujourd’hui son ennemi mortel. De ses autres amis, les uns n’ont pu rentrer dans l’argent qu’ils lui avaient prêté ; les autres ont été trompés par lui ; il ne leur a pas compté l’argent qu’il leur avait promis pour le cas où la succession lui serait adjugée. Pourtant, juges, nos ancêtres, ceux qui ont acquis et laissé cette fortune se sont acquittés de toutes les chorégies, ils vous ont fourni beaucoup d’argent pour les dépenses de la guerre, et ils n’ont jamais cessé de supporter les charges de la triérarchie. Ce qui le prouve, ce sont les offrandes qu’ils ont consacrées dans les temples, en souvenir de leur vertu, sur ce qui leur restait après avoir satisfait à ces obligations ; ce sont ces trépieds que, vainqueurs dans les jeux où ils avaient été choréges, ils ont déposés dans le temple de Dionysos, et ceux dont ils ont orné le sanctuaire d’Apollon Pythien. De même pour l’Acropole ; là ils ont, en prenant cet argent sur leurs revenus, embelli le temple de la déesse de statues de bronze et de marbre dont la valeur semble dépasser les ressources d’une fortune privée. Plusieurs d’entre eux sont morts en combattant pour la patrie, Dicéogène, fils de Ménexène et père de mon aïeul, en remplissant les fonctions de stratège dans la guerre d’Eleusis, Ménexène, le fils de celui-là, à la tête de sa tribu, sur le territoire d’Olynthe, dans le lieu appelé Spartolos, enfin Dicéogène, le fils de ce Ménexène, comme commandant de la galère paralienne, à Cnide. C’est de cette maison,

  1. De l’héritage de Ciron, § 45-46.