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l’industrie, et les produits sont tellement nécessaires aux hommes, qu’ils sont forcés de venir puiser à la source de toute subsistance, même au prix des plus grands sacrifices. La communauté aurait donc le droit de s’alarmer d’un privilège qui enrichit à ses dépens quelques-uns de ses membres, d’autant plus qu’en apparence ils restent inactifs et ne méritent par aucun travail des avantages inouïs.

Toutefois un monopole en lui-même n’a rien qui choque l’équité, s’il n’est pas artificiel. Il veut dire simplement que la nature a réservé à un petit nombre le débit de certaines marchandises ou l’emploi de certains agens : un moulin sur un cours d’eau est un monopole. L’avantage naturel ne devient injuste que s’il est aggravé par les lois civiles, ou exploité par la coalition des privilégiés. Nul n’adressera aux propriétaires ce dernier reproche ; le défaut d’accord, qui les soustrait au contrôle de l’état, est précisément la garantie du consommateur. Comment les cultivateurs de Normandie s’entendraient-ils avec ceux de la Beauce pour faire monter le prix du blé ? L’exploitation des terres médiocres, où il y a beaucoup de dépense et peu de profit, fournit le prix régulateur du marché. Si l’avidité d’un propriétaire voulait dépasser cette limite, les lois de la concurrence le réduiraient à se contenter, comme les autres, de la différence entre le prix courant et le prix de revient. Que la nation supprime ses tarifs de douane, qu’elle ouvre l’accès de son territoire aux blés d’Odessa ou aux laines d’Australie, si ses besoins n’augmentent pas en proportion, le prix courant de la laine et du blé baisse à l’intérieur ; la différence avec le prix de revient diminue d’autant, et la rente territoriale subit la même dépression malgré tous les efforts des propriétaires ; pour la maintenir, il faudrait rétablir le système désastreux de l’échelle mobile. Livrés à eux-mêmes, les propriétaires sont inoffensifs : comme toute loi naturelle, plus leur monopole paraît nécessaire, moins on doit redouter qu’il sorte des bornes où l’a enfermé la nature. Est-il vrai que la civilisation en aggrave le fardeau et qu’il faille soulager le consommateur d’un tribut payé à l’oisiveté ? C’est alors la complicité des lois qu’on accuse. Le grief n’a rien de surprenant, puisqu’un tarif de douane a la singulière puissance de faire monter ou baisser le produit de la rente territoriale.

Quand on pense toucher du doigt un abus, avant de se faire honneur de la découverte, il est prudent de consulter l’opinion publique et d’examiner si le malade qu’on veut guérir a le sentiment de sa souffrance. Au moins chez nous, il y a lieu de s’étonner qu’un peuple si jaloux de ses. droits et si hostile à tous les privilèges supporte aisément celui-là. Les attaques mêmes de la commune, dirigées surtout contre le capital industriel, ont échoué contre la propriété du sol, et n’ont pas trouvé d’écho dans les campagnes. Au moment où