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s’alarment d’une liberté industrielle que nous leur envions ; ils ne veulent plus laisser les grands monopoles aux mains des particuliers, et tandis qu’on travaille ici à restreindre les attributions de l’état, leurs économistes songent à les étendre. M. Mill le premier vante les bienfaits de cet administrateur désintéressé, dont l’activité profite au dernier des citoyens.

Nous savons qu’il faut en rabattre. Dans tous les cas, ce prétendu monopole de la terre qu’on veut restituer à l’état est fort différent des autres : il ne s’agit plus, pour le gouvernement, de supporter les frais d’une entreprise en même temps qu’il en recueille les bénéfices ; en lui donnant la terre, on met à son service l’activité, les travaux, les efforts des particuliers, et on verse dans son trésor ce qu’ils ont pu tirer d’un avantage naturel. Qui n’entrevoit les suites d’une pareille doctrine ? Quel trouble dans les rapports des particuliers et de l’état ! Quel encouragement pour les parasites qui veulent vivre sur le fonds commun sans effort et sans travail ! Ordinairement l’état, s’il se fait entrepreneur, est traité à l’égard des particuliers comme l’un d’entre eux ; il paie ce qu’il achète ; il travaille pour récolter. Même en percevant l’impôt, il ne prend que l’équivalent de la sécurité et de la protection qu’il assure aux particuliers : chacun paie, d’après les principes de l’égalité civile, selon les avantages qu’il retire de cette protection. Partout l’état a des droits et des devoirs : ici, il n’a que des droits. Le nom d’impôt ou de monopole déguise des prétentions nouvelles : on demande compte aux particuliers des inégalités naturelles qui les distinguent, et on en perçoit le fruit. La société s’approprie cet avantage, non par des efforts ou par des sacrifices, mais en vertu d’une mission providentielle sur laquelle on ne s’explique point.

En prêchant la guerre contre le droit d’aînesse, M. Mill était sûr de se faire écouter ; il est plus réservé quand il porte la main sur le monopole de la terre : il déclare que l’association n’a jamais pris sur elle de toucher à la propriété privée. M. Mill n’aime pas les mots nouveaux. Il sait qu’on peut faire accepter à ses concitoyens les idées les plus hardies, pourvu qu’on déguise l’audace de la pensée sous le respect de la forme. Enrichir l’état aux dépens des particuliers, supprimer du même coup une injustice et trouver pour le pays la source d’une nouvelle prospérité, ce serait une belle découverte qu’un autre annoncerait pompeusement : il veut au contraire la faire passer sans bruit sous des noms connus. C’est un impôt : qui songe à se révolter contre l’impôt, surtout quand il retombe sur des privilégiés ? Ou bien l’état n’est qu’un intermédiaire qui achète peu à peu les terrains à vendre pour les affermer ; il se fait débitant de terres comme il est débitant de tabac. Ainsi les deux grands canaux qui alimentent le fisc, l’impôt et le monopole, serviront de