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lit à cet autre fleuve si abondant, dont les eaux, trop répandues, ont été détournées de leur véritable cours. En effet, l’association réclame l’établissement d’un impôt « qui limite pour l’avenir les progrès immérités de la rente territoriale. » Cette taxe supprimerait toute la part d’accroissement qui est due non aux efforts et dépenses des propriétaires, mais aux besoins de la population et de la richesse ; les détenteurs resteraient libres d’abandonner leur propriété à l’état, et recevraient en échange une estimation. En même temps, on favoriserait les sociétés agricoles, l’état achetant les propriétés à vendre. et les confiant aux sociétés coopératives qui offriraient la garantie d’efforts suivis et de résultats efficaces.

Est-ce donc un véritable impôt, celui qui absorbe tout ou partie du capital qu’il frappe ? L’impôt n’est perçu par l’état sur les capitaux qu’à la condition d’en protéger la jouissance et l’exploitation. S’il les absorbe au lieu de prélever sa part de revenu, peut-on dire qu’il les protège ? Qu’importe au capitaliste qu’il y ait une police pour garder sa maison, une armée qui veille sur sa sécurité, des tribunaux qui consacrent ses droits ; s’il achète ces avantages au prix de tout son bien ? A quoi bon tant de peine pour le garder, si on ne lui laisse rien à garder ? L’impôt de M. Mill n’est qu’une expropriation déguisée. S’il s’agit du grand propriétaire qui loue ses terres à des fermiers, ira-t-il payer une taxe qui dévore toute sa rente, c’est-à-dire tout ce qu’il a ? Autant dire qu’il se laissera dépouiller tranquillement du fruit de ses avances. Quant au petit propriétaire qui exploite à ses frais, en lui prenant sa rente on lui enlève la qualité même de propriétaire : il n’est plus que fermier, puisqu’il doit se contenter des profits de son industrie ; cependant il a payé la plus-value du sol qu’il féconde : c’est une partie de son capital. A-t-il dit à ses voisins les privations qu’il s’est imposées ? Il compte les espérances par les sacrifices. Enfin il va être récompensé de ses peines ; son champ rapporte, son blé mûrit, la faucille est prête : vient un agent du fisc qui rembourse les journées de travail, le prix des instrumens, et qui emporte le reste.

Quant aux sociétés agricoles, leur encouragement n’est qu’un prétexte : comme l’état ne leur laisserait aucun droit sur la rente, elles deviendraient des associations de fermiers ou d’industriels ; mais ne changeraient rien au monopole de la terre. Si on les laisse libres et maîtresses du sol, elles voient renaître entre elles les mêmes inégalités qui distinguaient les anciens propriétaires ; l’état n’y gagnerait point. M. Mill au contraire lui assure la haute main sur ces sociétés, et les soumet au même régime que le simple fermier.

Le jour où un pareil impôt serait voté par le parlement, l’état deviendrait le grand propriétaire foncier de l’Angleterre. Quand