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rieux et sincères ne voient-ils pas que pour la république le meilleur moyen de vivre et de durer, c’est de s’accréditer par la sagesse, par les garanties qu’elle peut offrir au pays, c’est surtout de s’affranchir de toute solidarité avec le radicalisme, qui est son plus dangereux ennemi, qui est pour elle une menace perpétuelle ? Un vote de plus ne change pas la nature des choses, de sorte que, lorsqu’on prétend dissiper toutes les incertitudes par la proclamation d’un régime définitif, on n’éclaircit rien, on ne résout rien, on répond à la question par la question ; on ouvre une carrière à l’esprit de parti, qui s’y précipite, à toutes les fantaisies, qui sont justement, à l’heure où nous sommes, la faiblesse, le mal, de cette singulière phase politique où tout va un peu à l’aventure.

La vérité est qu’aujourd’hui, sous le prétexte d’attendre ou de chercher un définitif qui se dérobe sans cesse, on se détourne trop souvent des objets les plus essentiels, et que, par une pente irrésistible, on arrive à cette situation où l’assemblée, le gouvernement, finissent par laisser passer dans leur action et dans leurs travaux cette incohérence, ce sentiment d’incertitude dont tout le monde se plaint et que tout le monde se plaît à créer. Qu’on ait de la prévoyance, qu’on ne se désintéresse pas du lendemain et des meilleures conditions de gouvernement, oui sans doute, il le faut bien, et ce serait une étrange légèreté d’oublier que la France ne peut pas vivre indéfiniment sous une tente toujours menacée d’être emportée par l’orage ; mais en fin de compte quel est le meilleur moyen de préparer cet avenir, si ce n’est de rétablir patiemment et résolument tout ce qui a été ébranlé, de se refaire des idées simples et nettes, une volonté ferme, et surtout de mettre un certain ordre, une certaine suite, dans ce grand travail de reconstitution nationale dont les événemens nous ont fait une obligation ? Il est bien clair que si on se livre à la mobilité des impressions, si on perd le temps à se débattre en conflits maussades ou en discussions irritantes, si on se détourne des questions de finances, de la réorganisation militaire, pour disserter passionnément sur le caractère comparatif du 2 décembre et du 4 septembre, si on fait tout cela, on ne peut arriver qu’à la confusion. Le gouvernement et l’assemblée ne peuvent que s’user dans cette inaction agitée, consumant sans gloire et sans profit l’autorité et la force qu’ils ont reçues pour le bien du pays ; pour la libération du territoire et la réorganisation intérieure. Il ne servirait certainement à rien de se renvoyer mutuellement la responsabilité de ce qui est peut-être la faute de tout le monde. L’essentiel est de voir le péril et d’y faire face.

Que faut-il pour cela ? Peut-être d’abord une certaine décision dans le gouvernement, qu’on ne menace point à coup sûr, à qui on ne marchande ni les sympathies ni les concours, mais à qui on peut demander aussi de proportionner sans cesse ses résolutions, son action, aux pressantes et impérieuses nécessités du temps. La première condition est