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Ce que nous devons relever, c’est la direction essentiellement sacerdotale que ce prophète imprime à la restauration qu’il désire et qu’il prévoit. En cela, Ézéchiel se sépare des inspirés, ses prédécesseurs, qui n’étaient que très médiocrement admirateurs de la prêtrise ; mais il sème pour l’avenir. Tout le monde ne sait peut-être pas quelle est l’idée essentielle du sacerdoce ; ce mot est pris trop souvent dans un sens très vague et très élastique. En bonne théologie, le sacerdoce désigne le privilège, possédé par une caste ou par certains individus, en vertu duquel ils peuvent seuls procurer à l’homme l’accès auprès de la Divinité et l’obtention de ses faveurs. On n’arrive donc à Dieu et Dieu ne vient à l’homme que par leur intermédiaire. Un sacrifice aura beau être offert, un rite aura beau être accompli par des mains pures, mais non sacerdotales ; ce sacrifice, ce rite, sont sans aucune efficacité. En revanche, si c’est le prêtre, le sacerdos qui les célèbre, son pouvoir particulier, indépendamment de son caractère moral ou de son savoir, confère à ces actes une vertu sui generis qui leur communique une valeur incomparable. C’est ce qui fait par exemple que les ministres de l’église protestante, s’ils sont logiques, ne doivent jamais prétendre à la qualité de prêtres, puisque leur consécration ne leur confère aucun pouvoir surnaturel, tandis que le ministre du culte catholique est et doit être nécessairement un prêtre, devant à son caractère spécial le pouvoir d’absoudre, de célébrer le sacrifice de la messe, d’opérer la transsubstantiation eucharistique, de faire en un mot ce que nul à sa place ne peut faire, et ce qui est pourtant nécessaire à l’union de l’homme et de Dieu. De là le pouvoir toujours considérable des clergés sacerdotaux, qui détiennent ainsi les grâces divines, dont ils sont le canal exclusif. Pour en revenir à Ézéchiel, il est évident que, dans sa reconstruction idéale du peuple d’Israël, il crut à la nécessité de renforcer l’élément sacerdotal. Ses propres tendances l’y poussaient ; l’expérience du passé, la poésie qui rehaussait dans les souvenirs des exilés le charme des cérémonies, durent le confirmer dans ses vues. En fait, comme nous le dirons bientôt, le régime de la restauration d’Israël fut éminemment sacerdotal, et il est facile de voir que les germes déposés par Ézéchiel grandirent et fructifièrent beaucoup. Nous devons noter aussi une première et très grave influence de la captivité sur le développement du judaïsme. Le prophétisme et le sacerdoce, la religion d’enseignement et de persuasion, et la religion rituelle, auparavant en lutte ouverte ou latente, se confondirent pour un long temps, et c’est Ézéchiel qu’on peut regarder comme le promoteur de cette fusion, impossible quelques années avant lui. Jamais prophète n’avait encore été aussi prêtre que le fils de Buzi. Ce qui achève de caractériser Ézéchiel, c’est que tout nous le montre très