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veur. En particulier, symptôme très grave, l’orgueil de race s’en allait. On ne se croyait plus si fermement la nation élue, privilégiée d’en haut, tenue, par piété envers Jehovah non moins que par fierté, à conserver entière la pureté du sang. Les mariages avec des femmes étrangères passaient dans les mœurs. A la longue, le petit peuple juif allait se trouver envahi par les mœurs et les croyances qu’elles apportaient avec elles, et qu’elles inoculaient à leurs enfans. Une sorte d’indifférence, si ce n’est le retour aux vieilles idolâtries elles-mêmes, ne pouvait manquer de se propager au sein d’une population ainsi mélangée. C’est ce qui fait que, pour l’historien, l’arrivée à Jérusalem d’Esdras et de Néhémie en 458, presque un siècle après la promulgation de l’édit de Cyrus, est un événement au moins aussi important que le premier retour des bannis conduits par Zorobabel. Il convient de faire ressortir la signification très particulière et en général fort peu comprise de cet événement.


III.

Les relations entre les Juifs demeurés au pays d’exil et ceux qui étaient revenus en Palestine n’avaient pas cessé d’être étroites. Il n’y aurait pas même lieu de s’étonner si, dans les sociétés juives fixées près de l’Euphrate, l’espoir d’une restauration glorieuse se fût maintenu plus vif que chez les fils désenchantés des enthousiastes qui avaient voulu profiter de l’édit de Cyrus. Les Juifs restés en terre païenne savaient sans doute que les faits étaient loin de répondre aux ardentes espérances du premier retour; mais, fidèles à un principe vraiment Israélite, ils durent en conclure que la restauration avait été mal dirigée, et que, si Jehovah tardait à tenir ses promesses, c’était évidemment parce que son peuple réorganisé n’en était pas encore digne.

Tel fut le sentiment qui inspira le second exode, dont le scribe (copiste-explorateur de la loi) Esdras prit la direction. Un travail à la fois théologique et juridique, très réfléchi, très sérieux, doit s’être opéré parmi les Juifs de la terre étrangère, dans l’intervalle du premier au second rapatriement. Nous voyons en effet le scribe ou le docteur prendre pour la première fois la tête du mouvement qui eût été auparavant dirigé par un prophète ou par un prêtre. Esdras était scribe autant qu’Ézéchiel, avant lui, avait été prêtre, et certainement il avait réfléchi aux moyens d’opérer des réformes en Judée dans le sens d’une plus grande rigidité des croyances et des mœurs. Il sentait fort bien que, pour en venir à ses fins, il y avait des conditions de l’ordre politique à remplir, et il fut assez