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Est-ce donc impossible ? L’assemblée n’a qu’à le vouloir, elle n’a qu’à s’interroger et à se mettre en face de la vérité des choses. Elle a en elle-même tous les élémens d’une majorité sérieuse, image assez exacte de la situation. Qu’on y regarde de près, cette majorité, sans exclure personne, a son noyau essentiel dans les centres de l’assemblée, dans ce qu’on pourrait appeler les monarchistes constitutionnels et les républicains constitutionnels. Là est la vraie force politique parce que là est, à tout prendre, la vraie pensée du pays. Entre ces deux fractions, il y a sans doute une question réservée, la question de la constitution du pouvoir souverain. Sur tout le reste, on peut s’entendre et marcher ensemble. Il y a un homme qui, par son caractère, par ses opinions libérales et modérées, pourrait aider singulièrement à la formation de ce groupe : c’est M. Casimir Perier. M. Casimir Perier siège aujourd’hui au centre gauche, mais par ses affinités il se rattache au centre droit. Il peut être un lien entre toutes les nuances libérales. C’est un rôle fait pour tenter la plus honnête ambition ; il est certain dans tous les cas que, si cette majorité existait, il n’y aurait plus au même degré le danger de l’imprévu, d’une crise toujours possible, et le pays pourrait arriver sans trop de secousses au jour où il fixera lui-même ses destinées. Ce serait l’application la plus vraie et la plus efficace du pacte de Bordeaux. Quant au gouvernement, il trouverait dans cette majorité un stimulant et un frein. Au lieu de courir toutes les fortunes parlementaires, il serait sûr d’avoir toujours un point d’appui solide, et il ne serait pas exposé à ces perplexités qui mettent quelquefois un certain décousu ou une certaine lenteur dans ses résolutions. Au fond, pour le gouvernement comme pour l’assemblée, le danger, c’est de ne point agir ou de prendre une agitation fébrile pour de l’action. Il n’est guère douteux que, si le gouvernement avait eu un peu plus le sentiment de lui-même, il ne se serait pas cru obligé l’autre jour de présenter une loi nouvelle qui, d’un côté, ne fait que consacrer pour les délits de presse des dispositions d’une loi de 1819, d’un décret de 1848, et qui, d’un autre côté, a pour objet d’interdire dans tous les départemens la réapparition de journaux supprimés là où existe l’état de siège. Le ministère n’avait pas absolument besoin de cette loi pour être suffisamment armé ; il n’avait qu’à se servir sans hésitation de la force légale qu’il a entre les mains.

On ne peut croire certainement qu’en proposant de remettre en vigueur un décret de 1848 le gouvernement, donnant l’exemple d’une infidélité au pacte de Bordeaux, ait voulu enlever par subterfuge la proclamation de la république. Non, il a dit la vérité : il a voulu tout simplement se prémunir contre les menées bonapartistes ; mais il y a une manière bien autrement décisive de réduire le bonapartisme à l’impuissance : c’est de réparer les ruines qu’il a semées sur notre pays, c’est de lui opposer la vigueur d’un gouvernement résolu, c’est de se souvenir