Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 98.djvu/306

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

leurs bonnes intentions. Les journaux ont été inondés de vers; parfois un heureux assemblage d’ïambes, de trochées et d’anapestes imitait, à s’y méprendre, le grondement du canon et les charges de cavalerie. A tout cela se mêlaient l’éternel Arminius, qui n’a jamais négligé de si belles occasions de revivre, et le dieu Thor, qui arrivait tout courant de Troudouangour pour menacer Paris de son formidable marteau. Un critique allemand représentait dernièrement à tous ces rimailleurs subalternes que le patriotisme ne suffit pas, que, de même que l’argent est le nerf de la guerre, le nerf de la poésie pourrait bien être le talent. Ils pouvaient répondre comme certain personnage de Heine : « D’autres poètes ont de l’esprit, d’autres la fantaisie, d’autres la passion ; nous avons la vertu. Voilà notre seul bien. » Cependant de vrais poètes, qui ne manquent ni d’esprit ni de fantaisie, ont pris part à ce bruyant concert, et leurs voix ont fini par couvrir les autres. Ils ont exprimé en vers harmonieux et faciles le légitime orgueil que leur inspirait le triomphe des armes allemandes, et ils ont chanté avec une sorte d’enthousiasme religieux la restauration de l’empire. Quelques-uns ont pu se vanter à bon droit qu’ils avaient depuis longtemps annoncé ce grand événement, que leurs regards prophétiques avaient vu Jérusalem sortir de ses cendres, l’oint du Seigneur poser sur sa tête la couronne de gloire.

Ce n’est pas d’aujourd’hui que la restauration de l’empire est une cause en faveur dans le monde littéraire d’outre-Rhin, et qu’il y a en Allemagne des poètes impérialistes. Le saint-empire germanique a cela pour lui, que jadis il fut assez puissant pour faire de grandes choses, et que plus tard, dans l’âge de décadence où les pouvoirs se corrompent, où leurs vices l’emportent sur leurs qualités, il fut mis dans l’impuissance de mal faire, de telle sorte qu’on lui sait également gré de ce qu’il a fait et de ce qu’il n’a pas fait. Quels noms que ceux d’un Henri l’Oiseleur, d’un Othon le Grand, ces vainqueurs des Slaves et des Huns, ces épées infatigables dont il est vrai de dire qu’elles travaillaient pour une idée, ces conquérans législateurs qui donnèrent à l’Allemagne avec ses premières chartes la Lorraine, la Bohême et l’Italie ! Quelle émouvante tragédie que la querelle des investitures, que la destinée des Henri de Franconie dans leurs alternatives de grandeur et d’abaissement! Et où trouver de plus imposantes figures que celles des deux Frédéric de Souabe? Ces noms et ces visages n’ont jamais cessé de hanter les imaginations germaniques. Les Allemands ont ceci de particulier, que, grâce à la réformation, à la science, à la philosophie, ils sont à certains égards le peuple le plus moderne, le plus émancipé de l’Europe, et qu’ils sont en même temps le peuple le plus at-