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appétits voraces à un loup ravisseur. Après Wœrth, l’agneau ne bêlait plus. Quel mot trouverons-nous pour définir de si étranges contradictions? Les Allemands, nous l’avons dit, ont quelquefois des oublis volontaires.


II.

Si le Daphnis de Virgile, cet arbitre souverain des tournois poétiques, revenait au monde et qu’il fît jouter devant lui les coryphées de la poésie impérialiste, qui d’entre eux cueillerait la palme? Il en est jusqu’à trois qui seraient dignes de prendre part à cet assaut. Nous en avons déjà cité deux : l’un, M. Rittershaus, est né à Elberfeld, où il vit encore, et il a célébré son pays, la Westphalie, cette terre rouge, patrie des chênes, de Witikind, de Teut, des longues amours et des yeux bleus. L’autre, M. Geibel, a vu le jour dans l’extrême nord, sur les bords de la Trave, dans l’une des quatre républiques de feu la confédération germanique. Après avoir fait d’excellentes études à l’université de Bonn, il a couru le monde pendant quelques années et visité avec un savant ami la Grèce et l’archipel. En 1840, il était de retour à Lubeck, sa ville natale; peu de temps après, il obtint une pension du roi de Prusse, plus tard il fut nommé par le roi de Bavière professeur d’esthétique à l’université de Munich. On voit que cette muse, quoique née sur un sol républicain, n’a pas à se plaindre des princes; mais elle n’a pas été récompensée au-delà de son mérite. M. Geibel est depuis longtemps l’un des poètes lyriques les plus goûtés de l’Allemagne. À ces deux concurrens, il faut enjoindre un troisième, M. Oscar de Redwitz, un méridional, lequel appartient par sa naissance à la Franconie, par son éducation et par son mariage au Palatinat, où est sa résidence habituelle. M. de Redwitz, qui est aujourd’hui dans la maturité de l’âge, et nous voudrions dire du talent, commença par étudier en droit. Il n’a pas lieu de se repentir d’avoir abandonné Thémis pour une divinité moins sévère, mais souvent plus trompeuse; sa plume, fille gâtée, a remporté de faciles et brillans succès, à quoi l’ont aidée deux alliés très puissans, l’esprit d’à-propos et la faveur d’une coterie.

A ne considérer que le talent, M. Rittershaus et ses neue Gedichte seraient dignes d’obtenir le prix. M. Rittershaus est un vrai poète; il a l’émotion sincère et délicate, et, selon les occasions, la grâce ou la force. Il a même su retrouver dans quelques-unes de ses compositions les mieux réussies le secret des maîtres de la poésie allemande, lequel consiste à exprimer des pensées profondes et les choses intimes du cœur dans une langue simple, facile, divine-