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ment familière. Les poètes des autres nations ont la plupart le génie descriptif ou oratoire; ils se plaisent à glorifier la nature et ses charmes, ou, la prenant pour confidente, ils lui racontent avec une chaleureuse éloquence leurs douleurs et leurs joies. Dans le vrai lied allemand, c’est la nature elle-même, cette éternelle rêveuse, qui parle et qui chante; elle révèle au poète ce qu’elle sait ou ce qu’elle pressent des divins mystères, et le poète, fidèle interprète, ne fait que traduire dans le langage des hommes les mots furtifs qu’ont échangés en sa présence les vents et la forêt, les entretiens muets de la lune avec la terre ou les bans que publient dans une nuit de printemps un rossignol amoureux et une chouette fatidique. Les Goethe, les Uhland, les Heine, sont pareils à ce héros fabuleux qui, pour avoir bu quelques gouttes du sang du dragon, avait compris tout à coup la langue des oiseaux, des fleurs et des étoiles, et leur génie s’entend à faire parler les choses, sans y mettre du sien. Aussi quatre petits vers, rimes ou non, leur suffisent-ils souvent pour exprimer un monde de pensées et de profondes sagesses, car les choses ne sont pas agitées et bavardes comme l’homme, elles sont discrètes, recueillies et concises. Le charme propre à la poésie allemande, c’est le mystère, et il y a dans son instrument un peu sourd un silence qui fait rêver.

M. Rittershaus est un vrai poète, mais il n’est pas un véritable impérialiste; c’est ce qui doit l’exclure du concours. Bien que les vents orageux qui soufflaient sur l’Allemagne l’aient pour un temps détourné de sa voie, il y a en lui quelque chose qui résiste; on revient tôt ou tard à sa nature. En 1862, il a composé de beaux vers en l’honneur de Fichte, dont on célébrait la fête; il y exprimait le vœu que ce grand penseur devînt l’oracle de la nation et la pénétrât de son esprit. C’est un péché mortel pour un impérialiste que d’aimer et de chanter Fichte, cette grande âme républicaine qui a toujours tenu un si fier langage aux puissans de la terre. Plus tard, au lendemain de Sadowa, M. Rittershaus s’écriait : « La foule suit le char du vainqueur; le poète restera fidèle au vieux drapeau du droit des peuples et de la liberté. » Si en 1870 il a traité fort durement les Welches, par une contradiction qui lui fait honneur, il disait aussi à la France : « Tu as combattu jadis pour les vérités éternelles, tu as été un prophète de l’humanité... Non, nos rancunes et notre haine ne s’adressent point à cette France qui porterait volontiers avec nous l’étendard de la liberté, et dont le sang a coulé dans la nuit de décembre! » Après la victoire, il a mêlé des avertissemens à ses hosannas. « Que l’empire, disait-il, soit le temple de la liberté et non une caserne impériale ! » Or, si le premier devoir de l’impérialiste est de mépriser le Welche sans rémission, le