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Après cette incartade, M. de Redwitz supplie Dieu de délivrer enfin les Allemands de leur modestie, de leur humilité, — de leur mettre dans l’esprit qu’ils sont un peuple incomparable, le premier peuple du monde, et en finissant il compare le nord et le sud de l’Allemagne à deux cygnes voguant de conserve sous la protection de l’aigle impériale; il souhaite que le cœur de ces cygnes soit désormais semblable au chant d’un rossignol. « Dans ce cœur, dit-il, selon la mission que j’ai reçue, je dépose ce poème du nouvel empire allemand. » Grâce à Dieu, ce n’est qu’un in-douze; mais il est de poids et de dure digestion, même pour un cœur de cygne qui chante comme un rossignol. Cela rappelle certaine cuisine dont Henri Heine avait tâté dans un restaurant de son pays, et qui se composait, disait-il, de sensibleries pâtissées très indécises, d’amoureux plats aux œufs, de sincères boulettes aux prunes, de soupe platonique à l’orge, et de vertueuses andouillettes de ménage. Pour relever le goût, le cuisinier a mêlé du vinaigre à son lait, du poivre à son sucre candi. Pauvres hères que nous sommes, notre estomac welche ne résiste pas à de telles mixtures; bons ou mauvais, il ne supporte que les goûts francs.


III.

M. Emmanuel Geibel a sur l’auteur d’Amaranthe, sans parler du reste, cet avantage marqué, qu’il n’a pas attendu pour chanter l’empire que l’empire fût fait, ni pour prédire la fête que la fête fût venue. En réunissant en un volume toutes ses poésies politiques, il les a intitulées avec un juste orgueil les Appels du héraut (''Heroldsrufe), car il y a près de trente ans qu’il appelle et qu’il prophétise. Perchée sur sa tour d’ivoire, sa muse racontait aux vents, aux étoiles, aux vagues de la mer, son amoureux martyre et le mystère de son attente; elle sondait du regard les profondeurs de l’espace; dans chaque tourbillon de poussière qui blanchissait à l’horizon, elle croyait découvrir son rêve, qui l’avait entendue et qui accourait. Que les jours, que les années ont duré à son impatience! Les destins semblaient sourds à ses cris; mais rien n’a pu lasser son indomptable espoir. Enfin tout s’est accompli, elle a contemplé sur la montagne les pieds du bien-aimé, qui s’avançait vêtu de pourpre, le front ceint d’une couronne d’or entrelacée de lauriers. Si les longues fiançailles sont de mode en Allemagne, les fiançailles de trente ans y sont rares. Qui ne serait touché d’une telle persévérance si tardivement récompensée? « O hymen! ô hyménée! s’écrie le chœur dans Aristophane, que tout le peuple fasse éclater sa