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les cardinaux faits prisonniers. Nogaret arriva ainsi jusque sur la place publique d’Anagni. Là, il fit sonner la cloche de la commune, assembla les principaux de la ville, en particulier le podestat et le capitaine, leur dit son dessein, qui était pour le bien de l’église, les conjura de le vouloir assister. Les Anagniotes acquiescèrent. Leur capitaine était Arnolfo, un des seigneurs de la campagne, gibelin et ennemi capital du pape ; Arnolfo décida de la trahison, les Anagniotes se joignirent à la bande des envahisseurs. Comme ces derniers, ils portaient en tête de leur troupe l’étendard de l’église romaine. La faiblesse radicale de l’ambition des papes se voyait ainsi dans tout son jour. Ne possédant pas de force armée sérieuse, jetés au milieu des passions féodales et municipales, ils devaient périr par un coup de main. Plus tard, privée de la papauté, qu’elle regardait comme son bien, l’Italie se repentit de ne pas lui avoir fait une vie plus tenable ; on peut même dire qu’elle s’amenda ; à partir du XVe siècle, les différens pouvoirs de l’Italie connivèrent à la conservation de la papauté ; mais au moment où nous sommes, les mille petits pouvoirs qui se partageaient l’Italie rendaient impossible un rôle comme celui qu’avait rêvé Boniface. Il était trop facile au souverain mécontent de trouver autour du pontife, dans sa maison même, des alliés et des complices.

Le pape surpris chercha, dit-on, à obtenir une trêve de Sciarra. On lui accorda en effet neuf heures de réflexion, depuis six heures du matin jusqu’à trois heures du soir. Après quelques efforts pour gagner les Anagniotes, efforts déjoués par Arnolfo, Boniface fit demander ce qu’on voulait de lui. « Qu’il se fasse frate, lui fut-il répondu, qu’il renonce au pontificat, comme l’a fait Célestin. » Boniface répondit par un énergique « jamais. » Il protesta qu’il était pape, et jura qu’il mourrait pape.

La maison qu’habitait le pontife était un château fortifié, attenant à la cathédrale et communiquant avec elle. Les portes du château étaient fermées ; ce fut par l’église que les conjurés résolurent d’y pénétrer. Ils mirent donc le feu aux portes de la cathédrale. Les fleurs de lis du petit-fils de saint Louis entrèrent par effraction dans le parvis sacré ; l’église fut pillée, les clercs chassés et dépouillés s’enfuirent, le pavé fut souillé de sang, en particulier de celui de l’archevêque élu de Strigonie. Les gens du pape tentèrent quelque résistance à l’entrée du passage barricadé qui menait de l’église au château ; ils durent bientôt se rendre aux gens de Sciarra et d’Arnolfo. Les agresseurs alors se précipitèrent de l’église profanée et éclairée par les flammes dans le manoir papal.

La nuit approchait. Quand le vieux pontife entendit briser les portes, les fenêtres, et qu’il vit y mettre le feu, quelques larmes coulèrent sur ses joues. « Puisque je suis trahi comme Jésus-Christ,