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partie, elle n’en a pas moins été pour Rome la première révélation de certains traits réels du climat du nord.

Ce fut César qui, en reculant la frontière jusqu’au Rhin, en conduisant ses légions au sein de la Germanie et de la Grande-Bretagne, ouvrit hardiment ce monde barbare, où pénétrèrent après lui les lieutenans d’Auguste. Strabon dans sa Géographie, Pline l’Ancien dans son Histoire naturelle, à côté de laquelle nous voudrions pouvoir placer son ouvrage en vingt livres, malheureusement perdu, sur les expéditions des Romains en Germanie, nous ont conservé le trésor des informations acquises à la suite de ces guerres; le livre de Tacite, commenté par la comparaison avec leurs témoignages, nous rendra au complet l’impression profonde que ces nouveaux spectacles avaient produite sur l’esprit des Romains.

Le haut nord était pour eux la région vague et sans limites où se plaçait la dernière des terres, la mystérieuse Thulé. Il restera sans doute toujours impossible de déterminer précisément ce que les anciens entendaient sous ce nom. Était-ce l’archipel des Féroe, ou bien seulement les îles du Danemark, ou bien la vaste péninsule scandinave, qu’ils croyaient une île, ou bien l’Islande? Il est infiniment probable qu’ils ont appliqué cette dénomination tour à tour à chacune de ces contrées; elle aura changé d’objet suivant le progrès de leurs connaissances vers le nord. De même le nom d’Hespérie, qui s’appliquait à l’Occident, avait successivement désigné, selon l’avancement des notions géographiques, la Grèce par rapport à l’Asie, puis l’Italie par rapport à la Grèce, puis la côte de Carthage et le versant septentrional de l’Atlas, avec les fameux jardins des Hespérides, puis les côtes de l’Espagne méridionale avec Tartessus et Gadès, enfin, au-delà des colonnes d’Hercule, les îles Fortunées; les découvertes modernes devaient encore ajouter, par-delà la fabuleuse Atlantide, l’impropre dénomination des Indes occidentales.

Quoi qu’il faille penser de l’ancienne Thulé, il est incontestable que les Romains du Ier siècle après notre ère ont déjà une certaine connaissance de la nature septentrionale, et qu’ils ont été étonnés des phénomènes étranges que leur présentaient ce ciel, ces eaux et ces rivages. Tacite avait pu recueillir sur tout cela des récits de témoins oculaires. Il avait mis à profit sans nul doute les souvenirs et au besoin les notes de son beau-père Agricola, dont les vaisseaux allèrent conquérir les Orcades et aperçurent Thulé à travers les neiges. Il lui avait été facile d’interroger dans Rome même des soldats, des matelots ou des barbares esclaves, tels que ces auxiliaires germains qui, enrôlés par Agricola, avaient déserté sur trois chaloupes sans pilotes; errant au gré des flots jusqu’à l’extrémité sep-