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N’eût été ce rare présent de l’ambre, les océans du nord n’eussent offert aux anciens Romains que de sinistres sujets d’étonnement et de crainte. Les Romains, à la vérité, semblent n’avoir jamais été marins très hardis. Nous savons combien il leur en coûta, lors de la première guerre contre Carthage, d’oser passer de Sicile en Afrique; les matelots prétendaient que la côte méridionale de l’île, étant oblique, devait enfanter de terribles orages. Les soldats, bientôt après, marchant sur Carthage, assiégeaient le serpent du Bagradas avec leurs machines de guerre, nous dit Tite-Live, comme ils eussent fait une forteresse : leur courage hésitait devant les mystérieuses menaces d’une nature inconnue. Les Grecs aussi s’étaient laissé longtemps arrêter par le formidable cap Malée. Ils prirent leur revanche en s’avançant partout à la suite des Phéniciens, et en traversant avec une admirable ardeur, sous la conduite d’un Alexandre, toute l’ancienne Asie. Toutefois, quand ils atteignirent la mer des Indes, ils se virent accueillis par le phénomène, pour eux nouveau, des marées. Quinte-Curce nous a dépeint leur frayeur dans une de ses meilleures pages. Or ce qui était arrivé aux soldats d’Alexandre dans la presqu’île de Pattalène, aux embouchures de l’Inclus, les soldats de César l’éprouvèrent sur le rivage de l’Atlantique. Sans doute la flotte romaine dut se familiariser promptement avec le périodique retour du flux et du reflux; toutefois Drusus et Germanicus, un demi-siècle après, semblent encore mal préparés à braver ce péril. Pline l’Ancien continue à s’étonner de ce débordement de la mer, comme il l’appelle, qui laisse incertaine l’éternelle question posée par la nature, à savoir si les côtes appartiennent aux continens ou bien à la région des eaux.

S’il faut en croire Tacite, les océans du nord, après ce premier et fâcheux accueil, réservaient aux Romains beaucoup d’autres dangers. Ce n’est qu’avec une série de répugnance que l’auteur de la Vie d’Agricola parle de la mer qui s’étend après la Calédonie : « mer paresseuse et qui résiste aux efforts des rameurs, mare pigrum et grave remigantibus. Les vents mêmes peuvent à peine en soulever les flots, sans doute parce qu’elle baigne peu de terres et de montagnes, et que ce sont les côtes qui enfantent les vents, ou bien aussi parce que cette mer sans fond comme sans bornes est plus lente à s’ébranler. » Tacite achève cette explication peu lucide par quelques traits d’une précision rare : « On voit cette mer, dit-il, çà et là se diviser en fleuves, pénétrer au milieu des terres, les environner, circuler même dans les rochers et les montagnes comme dans son propre lit. » Qu’on prenne, à défaut de souvenirs personnels, une carte géographique, et l’on reconnaîtra à cette parfaite description, les fiords qui, découpant la côte norvégienne, introduisent entre de hauts murs de rochers la mer