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Le parlement a permis de nos jours et rendu aussi facile que possible l’affranchissement complet des anciennes terres de villenage. Les droits du lord peuvent être rachetés à la volonté soit du lord, soit du tenancier. La proportion des copyholds par rapport aux terres libres ne peut donc qu’aller constamment en diminuant, car on ne saurait en faire de nouveaux, attendu que l’essence même de cette tenure est la coutume, et qu’elle n’est qu’un des restes de l’antique servitude. On peut donc prévoir le moment où toutes les terres anglaises auront la même qualité légale, si l’on peut s’exprimer ainsi. Toutefois, après les divers états de la terre, il faut parler de ceux de la possession, car il n’y a pas seulement aujourd’hui des terres de deux classes, il y a diverses façons de posséder une même terre.

La propriété féodale n’était en réalité qu’un usufruit, elle ne conférait qu’un droit d’usage; la noblesse ne se contenta pourtant pas longtemps d’une tenure aussi précaire, qui grandissait trop le suzerain aux dépens du père de famille. Ses efforts instinctifs tendirent à constituer la propriété héréditaire, à remplacer le lien féodal par les liens de la famille. Le fief taillé (feudum talliatum) fut fondé dans cette intention, il créa une sorte de propriété qui appartint à la race; des possesseurs successifs, fermiers d’un grand nom, la conservèrent comme un dépôt, et la loi, qui l’entoura de sauvegardes et de chaînes, la protégea contre le caprice et la fantaisie individuelle. La volonté de chaque génération se trouva comme emprisonnée entre les volontés des générations antérieures et les droits des générations à venir. De semblables domaines furent placés sous la garde et la tutelle des morts. L’act fameux qui porte le nom de donis conditionalibus, rendu sous le règne d’Edouard Ier, fut un triomphe de l’aristocratie sur la royauté; il consolida la tenure des grandes familles en donnant une autorité prédominante à la volonté et aux intentions des donateurs qui constituaient un domaine. Cette volonté dut être obéie secundum formam in carta doni expressam ; en dépit de toute aliénation, les biens immeubles devaient retourner de droit aux héritiers de celui qui avait reçu le don, ou, à défaut d’héritiers de son corps ou directs, à ceux du donateur. Le droit de succession des héritiers, les droits de réversion des héritiers du donateur, étaient absolus, indépendans de toute aliénation, de tout bail, de tout arrangement conclu par le possesseur de fief. Cette loi assit la famille, la lia à la terre, ancra l’aristocratie au sol. Les inconvéniens ne tardèrent pas toutefois à se manifester : les fermiers furent renvoyés de leurs fermes parce que les baux faits avec les tenanciers in tail ne furent pas considérés comme valides au-delà de la vie du bailleur; s’il en eût été autrement, on