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firent les courtisans des hommes d’état de la Grande-Bretagne, le peuple anglais pouvait-il rester insensible à ces triomphes? La royauté n’y avait eu aucune part : l’Angleterre avait été sauvée par son parlement aristocratique, et non-seulement sauvée, mais portée à travers mille hasards et mille périls, par une volonté tenace et romaine, à un degré de puissance qui confond l’imagination et qui étonnera l’histoire, quand elle ne regardera qu’à l’étendue et à la population des îles britanniques.

Si la politique extérieure de l’aristocratie anglaise fut aussi heureuse que hardie, sa politique intérieure sut éviter les fautes qui ont ruiné la plupart des aristocraties. Elle ne contraignit jamais la nation à la regarder comme une ennemie; elle ne sépara jamais ouvertement, insolemment, ses intérêts des intérêts du peuple, son honneur de l’honneur anglais. Elle sut toujours plier pour ne jamais rompre. On ne la vit jamais se porter tout entière du même côté dans les grandes luttes de l’opinion : elle sut donner des soldats et des chefs à toutes les causes; on trouve quelque grand nom aristocratique mêlé à tous les mouvemens, à toutes les réformes, à toutes les luttes politiques, religieuses et sociales. Elle ne cherche jamais la gloire de se perdre, les plaisirs féminins de la vanité qui défie la nécessité, les joies amères de la défaite. Elle a des instincts plutôt que des principes, des préférences plutôt que des doctrines; elle obéit à des traditions plutôt qu’à des règles immuables.

Après la révolution, les deux partis dont l’un avait vaincu la royauté, dont l’autre avait été vaincu avec elle, se transformèrent graduellement. Les jacobites devinrent les tories : l’attachement ardent, personnel, chevaleresque, pour la royauté se transforma en fidélité raisonnée et attiédie pour des principes et des théories de gouvernement; quant aux whigs, défenseurs naturels de la dynastie étrangère, ils avaient eux-mêmes affaibli et comme neutralisé la royauté, ils lui accordaient une fidélité despotique, elle était leur ouvrage et leur créature pour ainsi dire. Entre ces triomphateurs jaloux, hautains et une royauté douteuse, de fraîche date, que pouvaient faire les tories? Ils résistèrent à la centralisation, défendirent les petits propriétaires, les paysans, contre les grandes familles opulentes et avides. L’insolence, le népotisme des vainqueurs, la corruption qui suit toujours les grandes révolutions politiques et qui atteignit moins les vaincus, les froideurs de la royauté, tout contribuait à rapprocher du peuple le parti dont les principes étaient pourtant le moins populaires. Ainsi se perpétua dans tous les rangs de l’aristocratie un sentiment de solidarité avec la nation, ici entretenu par les souvenirs de la révolution, ailleurs par une nécessité politique en même temps que par une plus grande rusticité,