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semble, à la même école, à la même université; pour l’un des deux, un titre, un mot remplace trente années de luttes, de tourmens. Que de labeurs, d’humiliations, de dégoûts, avant d’obtenir une baronnie ecclésiastique ou temporelle! Et, pour un heureux qui monte à l’Olympe, combien d’autres restent parmi les dii inferiores de la finance, de la chicane, de l’administration! Les affaires, la politique, les laborieux plaisirs de Londres, confondent souvent les pairs, les gens de loi, les gens de finance. A la longue, l’homme actif, tenace, intelligent, honnête, est sûr de conquérir ce qu’on pourrait nommer la pairie morale; toutefois la patience a de sourdes colères, la générosité se lasse, et par momens glisse dans l’envie. Tous ces sentimens confus, qui peuvent naître de la lutte de l’ambition et de la faiblesse, qui se redressent contre des fortunes doucement insolentes et naïvement cruelles, sont des forces invisibles et muettes. On n’y saurait voir un danger réel pour l’institution aristocratique; la bourgeoisie, qui cache sous ses admirations et ses hommages des instincts vaguement hostiles, ne cherche point à lutter contre elle, ne l’attaque pas. Le peuple au contraire, qui ne la hait point, la détruira peut-être quelque jour. Il l’aperçoit de loin, ses admirations contiennent moins d’envie et plus de tolérance; il a moins de souci du prestige social de la noblesse que de sa puissance politique: aussi ce prestige pourra-t-il survivre longtemps à la perte de tous les privilèges. L’aristocratie gardera bien longtemps les immenses avantages que lui confèrent sa richesse territoriale, sa haute culture, ses traditions. Les puissances d’imagination sont les plus tenaces, les seules invincibles ; mais l’autorité politique de l’aristocratie est sans doute destinée en revanche à s’affaiblir de jour en jour. Les pairs ne jouent déjà plus ce rôle idéal qui dans la théorie constitutionnelle est assigné à une chambre haute. Le vice de leur situation tient à ce qu’ils semblent toujours moins défendre la justice et la vérité que leur propre privilège, les traditions d’une caste, des biens trop personnels. Leur impartialité est ainsi suspecte, et leur autorité politique est amoindrie par cela même qui établit leur autorité sociale. Quand le parti radical dénoncera la chambre haute comme hostile aux intérêts de la nation, la chambre haute sera en grand péril. On ne supporte plus de sa part, même aujourd’hui, une hostilité prolongée à la volonté des communes; on la représente comme un frein à la violence du nombre, des majorités populaires. Le frein serait brisé le jour où on le trouverait trop résistant.

Depuis bien longtemps, la chambre des lords ne tient que la seconde place dans le gouvernement du pays. La réalité a été plus forte que la fiction. Le talent parvenu battra toujours le talent hé-