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réditaire. Parmi les pairs mêmes, ce sont des parvenus qui font la loi. Les ducs, les comtes ne pourraient se passer de pairs juristes, sans apanage, sans naissance. Jusqu’au bill de réforme de 1832, les deux chambres, ayant une origine presque commune, n’en faisaient vraiment qu’une. Les pairs gouvernaient indirectement et par procuration dans la chambre des communes, y faisaient entrer leurs frères cadets, leurs fils, leurs cousins, leurs neveux, leurs créatures. Depuis cette époque, la chambre des lords a senti la puissance politique lui échapper par degrés. Tacitement elle s’est promis de savoir toujours céder à temps aux volontés des communes. Sa complaisance garantit sa durée; « céder pour exister » semble être devenu sa devise.

Les lords sont plutôt des correcteurs de législation que des législateurs. M. Bright les a nommés un jour « des rétameurs de lois; » mais la critique des lois est peut-être ce qui exige les capacités les plus variées, et l’esprit de la haute chambre est un peu trop uniforme pour cette tâche. Tout est jugé, compris, examiné, interprété à un point de vue trop exclusif. Dans les questions de politique extérieure, la critique de la chambre haute a plus de portée : l’histoire, la diplomatie, sont des besognes qui conviennent bien à ceux qui portent un grand nom historique; dans ces questions mêmes, la pompeuse fierté des discours, l’évocation des grands souvenirs, couvrent mal une autorité qui décline et des traditions qui s’effacent. L’âme des lords est plus chatouilleuse et plus guerrière que celle des communes : il semble que les premiers redoutent sans cesse de voir évanouir ce rêve de puissance, de force et de grandeur terrestre qui a pris corps en eux et avec eux; mais notre temps, qui change tout, méprise les longs calculs. La menace ne sied d’ailleurs pas longtemps à ceux qui ne tiennent pas l’épée. La chambre des communes, avare du sang et des trésors du pays, décide seule aujourd’hui de la paix et de la guerre, et n’obéit qu’aux volontés spontanées et directes de la nation.

Il est fort douteux que la chambre des lords puisse conserver longtemps encore un caractère judiciaire. En ce moment, elle est la plus haute cour d’appel du royaume : elle domine la hiérarchie des cours de comté et des cours supérieures; c’est le lucus, le bois sacré où l’on arrive après avoir traversé toutes les forêts de la jurisprudence. La logique moderne, habituée à la distinction des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire, les trouve sans cesse confondus dans la constitution anglaise. Le pair est un législateur, héréditaire. Cette idée étonne moins que celle du juge héréditaire : c’est qu’il est plus facile de faire la loi que de l’interpréter. La loi arrive devant le législateur héréditaire, écrite par les communes,