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casser la tête contre un mur? Quant à nous, gens du monde et d’affaires, nous avons le besoin et le droit de réclamer que les économistes, sans nous jeter dans les spéculations théoriques de la science, dont nous n’avons ni l’aptitude, ni le loisir d’étudier et de pénétrer les profondeurs, nous fournissent des résumés pratiques, des chiffres et des faits à opposer aux divagations des soi-disant réformateurs contemporains, souvent difficiles à réfuter de prime abord. En dehors de la discussion des systèmes, les savans ont le devoir de préparer, pour le vulgaire ignorant ou superficiellement informé, un arsenal d’armes défensives contre des attaques qu’il faut se garder de mépriser sous prétexte de l’absurdité des allégations audacieusement émises. Que la science compétente et autorisée se hâte de redresser les erreurs intéressées ou involontaires, et de se mettre à la tête de la défense intellectuelle et morale du pays, qui se débat dans les plus cruelles angoisses et sous le coup des plus redoutables épreuves.

Nous n’avons pas assurément la prétention de répondre à toutes les objections que soulèvent les difficultés de la compétition inévitable entre le capital et le travail, entre la fortune et la pauvreté. Il nous suffirait d’avoir établi que l’actif des nations se divise en richesse positive comme les produits, et relative comme la circulation, c’est-à-dire que les produits réels forment la partie substantielle et seule divisible de la richesse utile, dont la circulation ne fait que multiplier les effets sans pouvoir être ni saisie ni partagée. La recette et la dépense, le salaire, les produits, les revenus et les capitaux disponibles, ne pouvant être qu’égaux entre eux, l’homme produisant plus qu’il ne consomme, et la source du bénéfice du travail ne pouvant consister que dans l’existence et dans la fortune d’une classe restreinte de consommateurs non producteurs, les systèmes socialistes perdent beaucoup de la force comme du prestige de leurs argumens. Comment rêver un état de société civilisée sensiblement différent du nôtre, sauf les réformes de détail et le progrès général, qui seuls permettront de relever le niveau du bien-être universel dans une solidarité fondée sur la liberté comme sur l’inégale et légitime rémunération des aptitudes, des vertus, des travaux et des mérites individuels forcément inégaux entre eux? Il est donc inutile, extravagant ou criminel de faire entrevoir aux masses un but et des félicités impossibles à atteindre, mais grosses de déceptions, sources inévitables de vengeances et de ruines.

Que les heureux du jour n’oublient pas toutefois ceux qui sont à la peine pendant qu’ils sont au plaisir; le souvenir pourrait leur en être violemment rappelé. Toujours se posera cette question : pourquoi faut-il que des travailleurs aillent s’épuiser aux durs la-