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beurs des champs et des ateliers, ou risquer parfois leur vie au fond des mines ou au milieu des tempêtes de l’océan, en échange d’un salaire moindre que celui de l’artisan plus heureux qui fait un futile bijou de femme ou un inutile jouet d’enfant, tandis que le consommateur fortuné attend le produit accepté ou refusé dédaigneusement sans penser aux peines qu’il a coûtées ? On dira bien que, plus le capital augmentera, plus il sera facile d’en conquérir une part, que la richesse engendre la richesse, comme un flambeau s’allume sans dommage à un autre flambeau, que le riche est nécessaire, et qu’enfin, comme il n’y a pas de degré dans l’indispensable, on ne pourra plus maudire l’infâme capital et condamner le capitaliste, non moins utile que le commerçant, l’ingénieur ou l’ouvrier ; mais affirmer et prouver ses droits ne suffit pas. Il reste aux privilégiés du sort de stricts devoirs personnels à remplir, dont le premier est la recherche des souffrances qu’on peut soulager et des progrès qui peuvent être réalisés, mission de confiance et de responsabilité qu’il serait de bon goût d’accomplir sans bruit et sans déclamations, car, a-t-on dit, le bruit ne fait pas de bien et le bien ne fait pas de bruit. Que les capitalistes se tiennent pour avertis par de récens événemens ; s’il est doux de se sentir indispensable, encore n’en faut-il pas abuser. Quant aux travailleurs de toute catégorie, on ne saurait trop leur répéter cette leçon de haute moralité adressée par Cobden aux ouvriers anglais. « Le monde a toujours été partagé en deux classes d’hommes, ceux qui épargnent et ceux qui dissipent, les économes et les prodigues, tous les grands ouvrages qui ont contribué au bien-être et à la civilisation sont l’œuvre de ceux qui savent économiser, et ils ont toujours eu sous leur dépendance ceux qui ne savent que dissiper follement leurs ressources. Les lois de la nature et de la Providence veulent qu’il en soit ainsi, et je serais un imposteur, si je faisais espérer aux membres d’une classe quelconque qu’ils pourront améliorer leur sort en restant imprévoyans, insoucians et paresseux. » N’est-ce pas un des fondateurs de la république des États-Unis, le vertueux Franklin, qui répétait souvent ; « Si quelqu’un vous dit que vous pouvez vous enrichir autrement que par le travail et l’économie, ne l’écoutez point ; c’est un empoisonneur. »


NOAILLES, DUC D’AYEN.