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lement différentes l’origine des montagnes, qu’il divisa en deux classes : les unes, qui, produit du feu, furent l’effet du premier refroidissement de la surface terrestre après la période d’incandescence, absolument comme nous voyons des boursouflures et des tumeurs se former à la surface du verre en fusion lorsqu’il se refroidit; les autres, qui ne sont que les amas des dépouilles des légions de mollusques et de poissons engendrés dans les eaux, mêlées aux cendres putréfiées et aux scories dénaturées de la matière vitreuse primitive roulés ensemble par l’action des eaux. Ces montagnes de seconde formation avaient donc été non pas le produit d’un soulèvement subit et d’une révolution de la nature, mais le résultat d’une cause agissant avec lenteur pendant une longue période de temps; elles avaient été formées non-seulement des substances fournies par les eaux, mais sous les eaux mêmes, à une époque où nos continens n’étaient que le lit d’une ancienne mer. Puis, lorsque ces eaux s’étaient retirées, mettant peu à peu à découvert ces amas informes, leurs courans avaient mordu leurs crêtes et leurs flancs, ou s’étaient ouvert un passage à travers leur épaisseur, et leur avaient donné la forme que nous leur voyons. Or ce phénomène de la correspondance des angles des montagnes est très frappant dans toutes les chaînes des mamelons de Bourgogne, et très particulièrement entre Montbard et Tonnerre. Ainsi Buffon doit à sa province natale non-seulement la forme, mais la substance même de ses pensées. De même que les hommes des anciens temps furent instruits des secrets des choses non par les divinités olympiennes elles-mêmes, mais par les dieux inférieurs des campagnes, ainsi c’est par le génie d’une divinité d’ordre secondaire, et dans le sanctuaire tout rustique du temple de la Bourgogne, que Buffon a reçu la révélation des secrets de la cause universelle des choses.

Buffon est peu lu aujourd’hui, sauf dans la partie du public éclairé qui s’occupe d’études scientifiques; ce qu’en connaissent la plupart des lettrés, ce sont quelques grands morceaux descriptifs célèbres comme modèles de pompe et de rhétorique noble, quelques monographies d’animaux, telles que celles du cheval, de l’âne, du cerf, quelques fragmens des oiseaux; joignez-y pour un petit nombre ces admirables tableaux des Epoques de la nature, où Buffon a résumé avec tant d’éloquence sa Théorie de la terre, et c’est tout. Il est rare que le lecteur moderne pousse plus loin la fréquentation de ce livre, qui eut au siècle dernier un si prodigieux succès; c’est un tort, car je n’en connais pas qui récompense plus pleinement les peines de son lecteur et dont l’étude soit plus féconde. Nul livre n’est aussi rempli que celui-là de faits curieux, d’observations