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volonté absolue de subordonner toutes les questions secondaires à l’intérêt supérieur du pays, d’éviter les conflits inutiles. Hélas ! toutes ces conditions nécessaires, impérieuses, ce n’est pas le régime provisoire qui nous les impose, c’est la fatalité même de notre situation qui nous les inflige. Non, nous ne sommes pas libres de nous abandonner à toutes nos fantaisies, nous ne sommes pas libres de jouer le sort du pays pour faire triompher nos idées de prédilection, nous ne sommes pas libres de perdre le temps en indignes tumultes parlementaires à propos de l’application d’un article du règlement intérieur de l’assemblée, lorsque les mois s’écoulent, lorsque chaque jour nous rapproche de l’époque où nous aurons 3 milliards à payer pour reconquérir la liberté de nos départemens laissés en gage. Est-ce qu’un régime définitif quelconque nous exonérerait de ces conditions douloureuses, et aurait la vertu magique de nous dispenser de bon sens, de patriotisme ? Est-ce la faute de ce provisoire où les circonstances nous ont placés si nous ne savons pas nous en servir, si à côté des inconvéniens inévitables qu’il entraîne nous ne savons pas découvrir les moyens qu’il nous offre pour délivrer le pays, pour le mettre à l’abri des coups de main et des aventures, pour lui assurer la libre possession de lui-même dans la paix intérieure ? C’est le pays, répète-t-on sans cesse, qui réclame la fin de ce fatigant provisoire, qui se lasse et s’inquiète de cette situation sans nom et sans lendemain. D’abord le pays n’est pour rien dans ces excitations d’opinions contraires où on lui donne si bénévolement un rôle, le pays est tranquille, les partis seuls sont à s’agiter autour d’un héritage qu’ils se disputent avant qu’il soit ouvert ; mais en outre ce qu’on dit sur la nécessité de fixer les destinées du pays pourrait être vrai, si la monarchie, le jour où elle serait proclamée, ne devait pas avoir contre elle les républicains, les bonapartistes, les socialistes, prêts à lui disputer sa victoire, — si la république de son côté n’était pas exposée à rencontrer toutes les défiances, toutes les craintes, tous les effaremens, si en un mot dans tout cela il n’y avait pas, au lieu du définitif qu’on poursuit, la guerre civile, qui livrerait plus que jamais la France à l’étranger.

Qu’on y réfléchisse bien : la difficulté n’est point dans la nature d’un régime qui par lui-même se prête à tout, qui est naturellement ce qu’on le fait ; elle est en nous tous, dans les passions qui s’agitent, chez ceux qui sont chargés de nous représenter, de nous gouverner, et dont l’attitude n’est malheureusement pas étrangère aux incohérences d’une situation qu’on laisse s’amoindrir et s’énerver. Le mal vient de ce qu’on n’a peut-être pas fait tout ce qu’il fallait dès le premier moment pour préciser les conditions de cet ordre provisoire, pour définir les rapports de l’assemblée et du gouvernement, pour dégager avec netteté les points fixes de la politique, ceux qu’un sentiment commun de patriotique prudence devait mettre en dehors de toute discussion. Aujourd’hui c’est une situation à redresser, à relever à la hauteur où elle aurait dû rester