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Entraînée par ses sentimens eutychiens, Eudocie embrassa ouvertement le parti des agitateurs ; elle mit à leur service tout ce qu’elle possédait d’influence en Palestine et tout ce qu’elle avait de passion dans le cœur. Elle prit avec Théodosius le commandement d’une insurrection qui, de religieuse qu’elle était d’abord, devint bientôt politique. L’histoire nous dit qu’elle fit appel à tous les monastères qu’elle entretenait, à tous les anachorètes qui vivaient de ses libéralités dans les environs de Jérusalem. Ils accoururent du fond de leurs cloîtres et de leurs cavernes comme une armée de cliens ou de vassaux, les uns par reconnaissance, les autres par orgueil, fiers de servir sous un si haut patronage. Les documens contemporains réduisent à un très petit nombre les archimandrites en renom qui surent résister aux séductions, et encore quelques-uns commencèrent-ils par s’égarer avant de revenir au droit chemin. Ces bandes d’anachorètes, ces moines de tout habit et de toute provenance se concentrèrent à Jérusalem, qui ressembla bientôt à un camp monastique où des milices créées pour prier Dieu en paix vinrent s’exercer à la guerre sainte. La ville elle-même était divisée d’opinions, et dans les derniers rangs du peuple l’instinct du pillage donnait la main au fanatisme. L’absence de toute force publique ajoutait aux causes de désordre un aiguillon puissant. Le comte Dorothéus, gouverneur de la province, était en ce moment sur les confins du pays de Moab en pleine expédition contre les barbares ; Jérusalem, dégarnie de troupes, à la merci d’un coup de main, pouvait devenir la proie facile du plus audacieux.

Telle était la situation d’Ælia Capitolina (nom civil de Jérusalem depuis sa reconstruction par Adrien), lorsque Juvénal, inquiet des bruits qui lui arrivaient de sa ville épiscopale, se hâta d’y retourner, abandonnant Chalcédoine et le concile. Il y trouva toutes choses plus bouleversées encore qu’il ne le craignait. A son entrée dans l’église de la Résurrection, il se vit entouré d’un clergé timide ou malveillant, de moines à l’aspect sinistre, et d’une foule d’habitans dont l’attitude n’était pas faite pour le rassurer davantage. On le somma de rétracter ce qu’il avait fait à Chalcédoine et d’anathématiser les décrets qu’il y avait souscrits. Il résista, voulut se défendre et justifier le concile ; mais Théodosius appuyait ses attaques de faux documens « dont le diable seul pouvait être l’auteur, » disaient les catholiques, tant ils contenaient d’impostures et de perfidies. Juvénal ne put répondre, ou plutôt on refusa de l’écouter, Sa vie fut menacée, et ce n’est qu’à grand’peine qu’il put s’échapper de l’église pour gagner une retraite sûre où il se cacha. Théodosius envoya un assassin pour le découvrir, et, comme l’assassin manqua son coup, le moine déchaîna sa colère sur l’évêque de Scythopolis, Sévérianus, qu’il fit massacrer. Les persécutions dès lors