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utilement employé contre ses adversaires, et à son tour il s’était brisé contre lui en Allemagne et en Espagne. Que n’eût-il pu accomplir avec cette force, s’il s’en était fait loyalement l’allié au lieu de la courtiser d’une manière équivoque dans un pays et de l’outrager ouvertement dans un autre ? Dans l’impuissance de sa captivité, il sentit amèrement ce qu’il aurait pu faire de grand et de durable, si, renonçant à tourmenter violemment les instincts des peuples et la géographie politique, il eût profité de ses victoires pour organiser le continent d’une manière conforme aux affinités nationales et à la nature. Comme honteux de la folie de ses plans démesurés, le prisonnier de Sainte-Hélène entreprit de persuader au monde que les monstrueuses créations des jours de sa puissance n’étaient dans ses desseins que des mesures transitoires. Le but caché de ses guerres sans fin, de ses traités sans solution, c’était la reconstruction de l’Europe par nationalités, l’indépendance et l’égale autonomie des différens peuples. Dès l’île d’Elbe, il en faisait donner l’assurance aux patriotes italiens. Tombé une seconde fois et pour jamais, ce demi-dieu de la guerre se fit, de Sainte-Hélène, le pontife et le prophète de ces idées nouvelles de sainte-alliance des peuples et de paix perpétuelle. A la France irritée des traités de 1815, à sa famille dispersée et à la recherche d’un rôle, il les transmit comme un dernier legs, comme l’instrument de la revanche, l’arme qui devait briser l’œuvre de Vienne.

Les leçons de Napoléon ne furent point perdues pour ses neveux. Celui qui devait relever l’empire se fit de bonne heure l’interprète de ces songes de Sainte-Hélène. Il leur donna place parmi les plus importans de ces principes qu’avec son orgueil de famille il décorait du nom d’idées napoléoniennes, et dont il faisait la base de la politique impériale. Comme son oncle, il prétend expliquer par elles tout le règne du chef de sa dynastie. Ce curieux commentaire du premier empire nous donne dès avant 1840 le programme de la politique étrangère du second. A en croire son neveu, Napoléon Ier projetait une reconstitution de l’Europe semblable au fameux plan attribué à Henri IV. Cette comparaison revient souvent sous la plume de l’auteur des Idées napoléoniennes. Il est aisé de sentir que ce plan légendaire du plus grand des Bourbons revendiqué par le premier Napoléon, le futur empereur se l’approprie et en rêve déjà l’exécution.

Rien n’est propre à expliquer le second empire comme le premier, qui lui servait de modèle et en quelque sorte d’idéal. Dans les détails de sa religieuse exégèse de la politique de Napoléon Ier se retrouve le germe de toutes les entreprises de Napoléon III, ou au moins de l’idée qui les inspira. Napoléon a ressuscitant le beau nom d’Italie, mort depuis tant d’années, et le rendant à des provinces