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jusque-là détachées[1] » Napoléon n’annexant quelques états de la péninsule à la France, et ne la coupant en départemens que pour « lui faire perdre l’esprit provincial, qui tue la nationalité, » ne nous apparaît-il pas comme le précurseur de l’œuvre de 1859, et le premier provocateur de l’unité italienne ? Quand l’auteur des Idées napoléoniennes nous montre dans le grand-duché de Varsovie le noyau d’une Pologne reconstituée, nous pressentons ses persistantes et infructueuses tentatives de la fin de la guerre d’Orient et de l’année 1863 pour amener l’Europe à réparer le crime de Frédéric et de Catherine. Quand il nous fait voir Napoléon « prenant en pitié le sort d’un grand peuple, saisissant aux cheveux l’occasion que lui présentait la fortune pour reconstituer l’Espagne[2]. » sans autre ambition que celle de sauver une nation parente de la nôtre, nous reconnaissons ces illusions, ces chimères de régénération forcée des races latines, et presque jusqu’à ce langage. Ainsi glorifiée, la guerre d’Espagne nous annonce celle du Mexique. On dirait que le second Napoléon s’était dès longtemps promis d’imiter le premier dans la plus insidieuse de ses entreprises. Lui-même, en nous parlant de l’Espagne, nous montre vingt ans d’avance comment cette aventureuse expédition d’outre-mer, en apparence opposée à la politique des nationalités, rentrait au fond dans le même ordre d’idées. Lorsqu’elles touchent aux vues de Napoléon Ier sur l’Allemagne, on sent dans les Idées napoléoniennes quelque chose d’indécis, de redoutablement obscur, qui, sur ce point capital, présage la confusion et l’incertitude du second empire. L’héritier de Napoléon ne sait pas nous dire ce que son héros voulait faire de ce grand corps germanique ; il ne nous apprend rien sur la place que lui-même lui destinait dans ses rêves. Ici encore, le second empire devait, dans sa conduite envers l’Allemagne et la Prusse, n’imiter que trop les hésitations et les contradictions du premier. Comme lui, il devait balancer entre une Prusse dominatrice du nord de l’Allemagne et une confédération d’états indépendans des deux grandes puissances germaniques ; comme lui, il devait pressentir que, pour ses plans de rénovation européenne, la Prusse était le seul allié possible ; comme lui enfin, après l’avoir tour à tour menacée et courtisée, il devait en venir avec la Prusse à une de ces luttes mortelles à l’un des deux adversaires, autant que peuvent mourir des peuples qui, dans leur situation et leur génie, ont une raison d’être indestructible.

Les raisons qui du prisonnier de Sainte-Hélène avaient fait le patron des nationalités avaient gagné à la même cause les

  1. Idées napoléoniennes, p. 143.
  2. Idées napoléoniennes, p. 149 et 150.