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du Rhin, au prix de l’abandon de quelques-unes de ses possessions d’en-deçà, était un calcul qui s’était déjà présenté souvent à l’esprit des gouvernemens français. L’ancienne monarchie avait plus d’une fois tenté cette politique du côté de l’Italie, de la Suisse, de l’Allemagne et des Pays-Bas. Elle était apparue dès la fin de nos guerres italiennes du XVIe siècle ; elle était entrée dans les combinaisons de Henri IV et de Richelieu, dans les plans des meilleurs ministres de Louis XIV et de Louis XV. Napoléon Ier l’essayait quand à Ratisbonne il gorgeait la Prusse de principautés sécularisées ou médiatisées ; il la renouvelait quand il lui offrait le Hanovre, et de pareils calculs ne furent pas étrangers à tous les hommes d’état de la restauration et de la monarchie de juillet. Napoléon III ne fit que rattacher cette vieille politique au nouveau principe de nationalité. Par là, il croyait en avoir rendu l’exécution plus facile en même temps que plus légitime. Il oubliait qu’au lieu de toujours tourner à notre agrandissement le mouvement national des peuples voisins pouvait l’entraver, ou ne le permettre qu’en assurant aux nouveaux états d’Italie et d’Allemagne des acquisitions hors de proportion avec les nôtres.

L’esprit toujours tendu vers l’idée impériale, Louis-Napoléon dut s’arrêter de bonne heure à cette conception, qui semblait concilier le nouvel ordre européen avec la grandeur réclamée par un second empire français. Les combinaisons débattues avec M. de Cavour et M. de Bismarck s’agitèrent longtemps dans sa tête avant les entrevues de Plombières et de Biarritz. Elles formaient le fond de sa politique étrangère ; elles furent le but de toutes ses intrigues, le secret motif de ses brusques résolutions comme de ses longues incertitudes. Il les caressa tant qu’elles lui parurent conserver quelques chances de succès, et pour les lui faire abandonner, s’il y renonça jamais, il ne fallut rien moins que les amères déceptions qui lui vinrent du côté de la Prusse.

Cette politique d’échange ou de compensation territoriale se trouvant rattachée au principe de nationalité, il fallait imaginer un moyen de la régulariser vis-à-vis de ce droit nouveau dont on la faisait dépendre. Napoléon III y appliqua un procédé dont l’emploi lui tenait partout à cœur, le suffrage universel. Selon la théorie impériale, le vote populaire devait consacrer les changemens intervenus dans la situation territoriale des puissances. C’était la nouvelle légitimité sur laquelle devaient reposer les états comme les dynasties. Dans le droit international allait s’introduire le principe du nouveau droit public français, la souveraineté du peuple sur lui-même, exprimée par le vote de tous. Depuis qu’elle le pratique, la France a trop souffert de l’ignorance et de la présomption, des complaisances et des engouemens, de la mollesse et des impatiences